« Ô temps suspend ton vol » ! Cet élan « lamartinesque » ne dépareillerait pas dans un environnement de travail en proie à de profondes évolutions et à une conception du temps toujours plus élastique ou compressée. Tout est question de point de vue.

Semaine de 4 jours, télétravail, codes du freelancing adaptés (parfois au forceps) au salariat… Pléthore d'initiatives plus ou moins heureuses et pertinentes ont émergé pour pousser dans ses retranchements la journée de travail dite classique. « Nous sommes peut-être en pleine révolution mais nous ne nous en rendons pas encore compte », abonde Laetitia Vitaud, autrice et conférencière, spécialiste du futur du travail devant un parterre de divers interlocuteurs - qu'ils soient directrices ou directeurs des ressources humaines (DRH), consultants, salariés ou entrepreneurs -, tous réunis sous la houlette du collectif « Do Tank Future of Work », adossé à Envi, la société de l'entrepreneuse Catherine Barba et dirigé par Catherine Bouchon-Hornstein.

Pour rappel, par opposition au plus communément répandu « Think Tank », le « Do Tank » fait émerger des retours d'expérience plutôt que d'engager des pistes de réflexion. Une « incarnation » parfois plus salutaire et moins nébuleuse qui a souvent le mérite d'aller droit au but.

Sacraliser le temps collectif

Force est de constater que le rapport au temps dit traditionnel a littéralement volé en éclats. Fossoyeur en chef : le télétravail.

« Celui-ci a fragmenté de toutes parts notre conception du temps de travail. Nous sommes désormais à contretemps, parfois même désaccordés », appuie Laetitia Vitaud.

S'il a eu le mérite de mettre un sérieux coup de canif à la rigidité des horaires - même si la culture du présentéisme à la française reste encore bien vivace -, le télétravail n'a pas que des vertus. Il est responsable, pour certains, de la mise à mal de la cohésion voire parfois du sentiment d'appartenance à une entité.

Dans ce contexte, sans remettre en cause le télétravail, le temps collectif doit néanmoins être sacralisé. « Celui-ci a vocation à nourrir une culture d'entreprise », enchaîne Carine Legras, Head of employee learning & development chez Microsoft. Une « entreprise témoin » au sein de laquelle la conception du temps a également subi quelques retouches, davantage empreinte de modernité ou de bon sens. C'est selon.

Un temps de récupération « comme pour les sportifs »

« Il est important de comprendre ce qu'est notre rapport au temps. Notamment en ce qui concerne la courbe de l'attention. Notre cerveau est plus ouvert à des tâches analytiques entre 8 heures et 11 heures tandis qu'entre 12 heures et 15 heures, il est plus propice à la créativité. Avant un regain d'analytique entre 16 et 17 heures », explique la responsable. En outre, Microsoft France propose également l'institution d'un « focus time », à savoir une plage horaire à définir, selon les besoins de chacun, dévolue à la concentration, sans être dérangé… et sans regarder son smartphone et sa myriade de notifications.Impossible et impensable pour certains, mais Carine Legras note néanmoins que cela n'est pas si difficile à instaurer, et surtout « que l'on va beaucoup mieux » en écartant - pour un temps - un encombrant « prolongement de soi ». Et d'expliquer : « On est accroché à notre téléphone. Lorsqu'on est dérangé par une notification ou autre, il faut environ 15 à 20 minutes pour se reconcentrer pleinement sur sa tâche. Il est important de se protéger et d'être ainsi plus performant. »Selon elle, le temps de travail serait efficace à condition d'avoir, comme des sportifs, un temps de récupération. Et de sport, il en a - indirectement - longtemps été question pour Agnès de Saint Céran, ancienne directrice des ressources humaines du comité d'organisation des Jeux Olympiques 2024 de Paris.

L'occasion, pour elle, de mettre en exergue une autre conception du temps : celle du temps qui presse et la difficulté à faire coexister des temps différents, notamment dans la perspective des Jeux Olympiques.

« La partie relative aux infrastructures est entrée dans son pic d'activité, là où typiquement l'organisation des compétitions sportives ne démarrera pas avant le mois de juillet. Il faut donc faire vivre des temps très différents et aider nos collaborateurs à les traverser. » Et de poursuivre la métaphore sportive : « Finalement, nous sommes contraints de disputer un marathon à la vitesse d'un sprint. »

« Le temps est une ressource »

Confrontée à une machine de guerre en termes d'organisation, l'ancienne DRH du comité d'organisation des Olympiades plaide pour une juste répartition des tâches et la préservation des équilibres.« Il faut remettre l'importance du temps au centre de la réflexion. On fait comme si le temps était totalement compressible, comme si on avait plus besoin de s'en occuper. Nous sommes encore dans la fiction du parallélisme des tâches et de l'ubiquité. » Et de développer : « Mais cela ne fonctionne pas. Le cerveau humain a besoin de temps pour s'approprier les choses et le temps est une ressource. »Une ressource de plus en plus prisée, car « séquencer » le temps ne signifie pas pour autant travailler moins, cela va de soi. Juste travailler mieux. « Plus on gagne du temps et moins on en a », déplore Laetitia Vitaud. Un sens de la formule qui fait mouche au sein d'une assemblée déterminée à mettre à profit tous ces retours d'expérience.