Né en Charente, dans un petit village, Baptiste Treny grandit proche de la nature. Ayant de bonnes notes sans vraiment aimer l'école, ses parents l'invitent à faire des études “pour réussir sa vie”.
Après un parcours classique (prépa puis master en alternance), il commence sa carrière professionnelle à Niort dans l'immobilier, avant d'intégrer la MAIF. Beau métier, belle maison, beau bureau... tout lui sourit. Il décide néanmoins à 37 ans de tout plaquer pour créer en 2021 son entreprise orientée sur la préservation du vivant : Créateur de forêt.
Pourquoi décider de tout arrêter pour créer votre entreprise ?
Deux éléments concomitants m'ont poussé à vouloir créer quelque chose d'utile :
Tout d'abord, la parentalité. Quand tu commences à nourrir tes enfants, tu ne veux pas leur donner n'importe quoi à manger.
Puis, la prise de conscience que la nature que j'avais connu petit n'est plus la même aujourd'hui. Par exemple, 80 % des insectes volants ont disparu en 30 ans, en France ; 30 % des oiseaux ont disparu en 15 ans. Face à ces données, je ne voyais plus à quoi ça servait de me lever le matin pour faire de l'argent, alors que j'avais pleinement conscience d'un problème auquel je ne répondais pas.
Comme je ne sais pas faire deux choses à la fois, j'ai décidé de quitter mon emploi pour repartir à zéro. La seule chose que je savais, c'est que je voulais créer une entreprise.
Ça ne vous a pas fait peur ?
On me dit que j'ai eu beaucoup de courage et que j'ai pris des risques. Je ne le vois pas de cette manière.
Tous les voyants étaient au vert : j'avais 37 ans et j'habitais à Niort, une des villes où il est le plus facile de trouver du travail. J'avais aussi un bon réseau professionnel et suffisamment d'économies. Ma femme avait un bon travail et mes enfants (à 5 et 7 ans) ne nécessitaient pas des dépenses trop importantes comme de payer des études ou un loyer. D'autant que je suis parti en bons termes avec mon employeur avec une rupture conventionnelle.
Finalement, le plus gros risque pour moi était de continuer à travailler sans avoir de sens et aller tout droit au burn-out.
Une fois au chômage, qu'avez-vous fait ?
C'était en mars 2020, c'est-à-dire au moment du premier confinement en France. Personnellement, c'est l'une des plus belles périodes de ma vie. J'étais avec ma famille, dans notre maison avec un jardin. C'était un moment de lenteur délicieux pendant lequel j'ai pu lire et prendre le temps de vivre. J'ai contacté des personnes que je n'avais pas vues depuis longtemps. J'ai continué les rencontres, même après le déconfinement. En 6 mois, j'ai échangé avec près de 300 personnes.
Quel était le but de ces rencontres ?
C'était ma méthode pour créer une entreprise. Je leur parlais de mon projet et ils le nourrissaient par leurs connaissances, leurs réactions et leurs avis. J'ai recueilli beaucoup de conseils, des bons mais aussi des mauvais. Heureusement, j'ai appris à ne pas tout écouter et à me faire confiance, sinon je n'aurais jamais entrepris.
En quoi consiste concrètement l'activité de “Créateur de forêt" ?
Notre mission est de recréer un écosystème écologique (une forêt) sur des terrains dégradés en plantant différentes essences d'arbres. Nous n'intervenons que si notre action permet un retour du vivant plus rapide qu'avec la seule intervention de la nature.
Nous opérons sur des terrains de minimum 2 hectares qui appartiennent à des communes. Nous gérons l'intégralité du projet pendant 6 ans (construction du projet, financement, plantation et entretien des arbres pour prévenir les incendies, limiter la propagation d'une espèce invasive et permettre de se promener dans la forêt). Après 6 ans, nous donnons un cahier des charges aux communes pour expliquer comment intervenir si besoin.
Notre condition est que la commune accepte de placer le terrain sous protection juridique pendant 99 ans via un contrat “ORE” (obligation réelle environnementale).
Après trois ans d'exercice, nous sommes 7 salariés et avons fait sortir 12 projets de terre grâce au soutien de 180 entreprises clientes et 1060 particuliers.
Racontez-nous votre premier projet...
A l'époque, l'entreprise n'existait même pas. J'avais commencé à créer des pages sur les réseaux sociaux. Un journaliste à Niort m'a contacté pour faire un article sur mon projet. C'était très intéressant car il a réussi à mettre en forme ce que je disais avec mes mots de passionné. À la suite de cette publication, deux dames m'ont proposé d'acheter leur terrain de deux hectares complètement déboisés.
C'était l'occasion pour moi de mettre en application mon projet afin de prouver qu'il était réalisable. J'ai rencontré différents corps de métiers (des forestiers, des écologistes, des scientifiques...) pour m'expliquer comment procéder. J'ai ensuite cherché des financements via une cagnotte de financement participatif qui a réuni 50 entreprises et 400 particuliers.
Cette première plantation est allée au-delà de tout ce qu'on avait imaginé. Pour planter les arbres, on a fait appel aux élus, à des enfants, à des personnes en réinsertion. A vouloir faire du bien à l'environnement, on fait aussi du bien à l'humain. C'était notre première brique sociale qui nous a amené à l'ESUS (Entreprise solidaire d'utilité sociale) dont on parlera plus tard.
Face à cette belle réussite, on est conforté dans l'idée qu'il fallait continuer à développer l'entreprise. On avait plein d'autres propositions de terrain mais on avait un petit peu peur, quand même !
Comment financez-vous chaque projet ?
Au total, un projet coûte 30 000 € par hectare, soit 3 € le mètre carré. Nous cherchons des financements auprès des particuliers et des entreprises à hauteur de 5 € HT.
Il faut savoir que nous ne sommes pas défiscalisables. Nous ne vendons pas non plus de crédit carbone. Ces derniers incitent, en effet, selon moi, les entreprises à poursuivre leurs activités avec le même mode de fonctionnement, sans améliorer leur système. Je veux qu'elles financent nos projets pour de vraies raisons.
Quelles sont justement les raisons qui poussent les entreprises à financer vos projets ?
Ce sont surtout des entrepreneurs sensibles à la cause écologique, qui se servent de leur entreprise pour concrétiser leur engagement RSE.
C'est aussi un outil efficace pour communiquer. En revanche, je fais très attention aux éléments de langage utilisés par les entreprises partenaires. Ce n'est pas parce qu'on plante un arbre que l'on est vertueux. Une mauvaise communication, basée sur le greenwashing, ne peut que nous desservir alors qu'une communication claire est au service à la fois de notre cause et de l'entreprise.
Enfin, pour moi, faire appel à des entreprises est très important car cela permet d'atteindre l'ensemble des salariés, qui ne sont pas forcément tous engagés ni sensibilisés.
En parallèle de la création de votre entreprise, vous avez repris des études en management de la transition énergétique. Pourquoi ?
Quand on crée une entreprise, on est souvent touché par le syndrome de l'imposteur. Je voulais devenir plus crédible grâce à l'obtention d'un diplôme. Ça me permettait aussi d'avoir un plan B si jamais mon entreprise ne fonctionnait pas. Je pourrais ainsi trouver, en reconversion professionnelle, un emploi lié à la transition écologique.
J'attendais surtout de la formation d'acquérir des connaissances générales pour me professionnaliser, sans devenir un expert du droit de l'environnement. En réalité, la formation m'a apporté bien plus que ça. Quand tu es un entrepreneur engagé, tu es utopiste et tu peux te sentir un peu seul au monde. Au sein de ma promo, j'ai découvert des personnes qui étaient sur la même longueur d'ondes que moi. Je n'avais pas imaginé l'importance de ce réseau. Aujourd'hui, la plupart de nos entreprises partenaires le sont grâce à Green Management School.
Le retour sur les bancs de l'école a-t-il été difficile ?
J'étais serein car à l'abri financièrement grâce à l'aide de France Travail (ex-Pôle Emploi) pendant deux ans. J'avais aussi choisi un cursus adapté à ma situation : une formation à distance et en alternance. J'étais libre dans mes horaires et mon organisation. Le reste du temps, je le consacrais à la création de mon entreprise, en lieu et place de l'alternance.
Ça m'a fait tellement de bien d'apprendre ! Et mes enfants étaient fiers de voir leur papa étudier.
Vous avez créé juridiquement votre entreprise en février 2021 avant même d'avoir testé votre idée. Pourquoi ?
J'ai accéléré la création des statuts car je voulais embaucher en alternance Robin, un des étudiants de la formation que je suivais.
J'avais aussi besoin de formaliser mon projet pour qu'il devienne plus concret et ne soit pas qu'une simple idée. Je passais soit pour un utopiste, soit pour un fou. Personne ne croyait que l'on pourrait me donner de l'argent pour recréer de la biodiversité. Je voulais montrer que je n'étais pas un illuminé ! D'autant que j'avais déjà eu une première proposition de financement de 1 500 € par un élu municipal. Il me fallait un numéro SIRET pour pouvoir générer une facture et recevoir cette somme.
Pourquoi choisir de vous associer ?
Pour moi, une belle entreprise n'est pas une belle idée mais surtout une belle équipe. Je voulais m'associer pour avoir à mes côtés une personne complémentaire qui viendrait combler mes faiblesses. C'était le cas avec Robin que j'avais pris en alternance, mais comme je ne savais pas encore au bout d'un an ce qu'allait devenir l'entreprise, je l'ai laissé partir. Puis j'ai embauché Elise pour un CDD d'un an. Nous avons travaillé ensemble, en pleine transparence. On parlait déjà de s'associer, comme un mariage. Il a fallu avant ça apprendre à travailler ensemble.
Vous disposez d'un agrément ESUS alors que votre entreprise semble à première vue environnementale. Pourquoi ?
C'est vrai que dans notre raison d'être pour devenir société à mission, nous avons 5 objectifs environnementaux et pas forcément sociaux. Pourtant, on s'est rendu compte qu'on faisait du bien autant à l'environnement qu'à la société.
Tout est parti d'un appel d'un Institut médico-éducatif (IME) qui m'a demandé d'intégrer les jeunes de la structure dans la plantation des arbres. Ils sont venus sur le terrain pendant 3 jours, en même temps que des lycéens. Chaque jeune de l'IME était accompagné d'un lycéen. Puis on pique-niquait tous ensemble le midi. L'éducateur a été très touché par cette démarche d'inclusion et m'en a fait part. C'est ainsi qu'on a compris qu'on pouvait avoir un fort impact social.
L'idée en obtenant l'ESUS était donc de mettre en avant notre utilité sociale même si nous ne sommes pas une entreprise de l'économie sociale et solidaire (ESS). Notre volonté est aussi d'inspirer les autres entreprises et de montrer que le statut ne fait pas la vertu. On peut très bien être une entreprise, et donc être rentable, sans être un "méchant” comparé aux associations qui sont les “gentilles”.
Pour finir, quelles sont les prochaines étapes de Créateur de forêt ?
Début 2024, on s'est posé avec Elise pour faire le bilan des trois années passées et décider des trois prochaines années. On a réussi à construire une super entreprise avec des clients, un chiffre d'affaires, une belle image... Mais l'entrepreneuriat nous a épuisés.
C'est ça le problème avec les boîtes engagées : les gens bossent trop et finissent par péter les plombs. Chez Créateur de forêt, on veut faire très attention au bien-être de nos salariés et à notre bien-être à nous. Ce n'est pas possible d'être entrepreneur et réussir en essorant ses salariés jusqu'à la dernière goutte. Si un jour quelqu'un tombe dans mon entreprise, j'arrête tout.
Finalement, notre objectif n'est pas d'en faire toujours plus, mais d'être heureux. On veut faire le bien à l'extérieur, sans nous détruire de l'intérieur. Désormais, nous prenons davantage de projets locaux. Je ne travaille plus le lundi, Elise chôme le mercredi. On communique plus avec nos équipes.
Nous sommes en ligne de marche pour travailler nos projets de 2025 et 2026. En 2026, nous fêterons nos 5 ans : c'est une étape importante à passer pour une entreprise. Nous espérons que le monde de l'entreprise va réaliser l'importance vitale d'agir concrètement pour la régénération des écosystèmes dont nous avons toutes et tous besoin.Pour que le monde ne devienne pas un monde eco-inquiet, mais plutôt un monde éco-curieux, éco-émerveillé et donc éco-régénérateur.