En 2019, Emma et Anastasia ont l'idée de commercialiser en France de la pâte à cookie crue en créant l'entreprise WeDough, après avoir découvert le concept à New York lors d'un séjour académique. Malgré les réticences et les réactions décourageantes des personnes qu'elles rencontrent, elles lancent leur premier pop-up store au centre commercial de Place d'Italie à Paris. Puis elles dupliquent le modèle dans les plus grands centres commerciaux de France. 

Elles ne s'arrêtent pas là. Après avoir diversifié leur catalogue avec des cookies cuits et mi-cuits, de la glace et autres produits dérivés, elles se lancent dans l'événementiel auprès des entreprises. On les retrouve au Printemps, à la Grande Épicerie de Paris, au lancement d'une nouvelle collection chez Longchamp ou encore à Citadium. Elles s'attaquent désormais au marché du B to B avec la commercialisation de leurs biscuits auprès des enseignes Franprix.

Pourquoi choisir le pop-up store pour commercialiser votre produit ? 

Anastasia. C'est plutôt une opportunité qu'un choix de notre part. On hésitait entre l'ouverture d'une boutique et la distribution en magasin quand on a rencontré la personne chargée des centres commerciaux Hammerson. Il a eu un coup de cœur pour notre produit et nous a proposé de le tester pendant deux semaines dans un pop-up store au centre commercial Place d'Italie à Paris. C'était une occasion unique de nous confronter directement à notre clientèle à moindre coût. Et ça n'a pas loupé. On a eu énormément de monde, avec des retours très positifs et plein d'articles dans la presse.

Emma. Le pop-up store dans un centre commercial s'est révélé être un énorme vecteur de communication et un modèle économique rentable. En deux semaines, on pouvait déjà en retirer des bénéfices. On a donc décidé de garder ce modèle en dupliquant l'expérience dans d'autres centres commerciaux. Ça n'a pas été difficile de les convaincre. Il suffisait de leur montrer des photos de la file d'attente à Italie 2 pour leur prouver qu'on était générateur de flux et donc de business pour eux. Cinq ans plus tard, on a conservé cette activité. Nos pop-up stores ne durent plus deux semaines mais deux à trois ans.

Quelles ont été les principales difficultés pour lancer ce premier pop-up store ? 

Anastasia. Le plus dur, ça a été d'avoir les fonds nécessaires pour se lancer. On ne voulait pas faire de levée de fonds car nous n'avions pas l'ambition de créer une start-up et, inconsciemment, on ne se sentait peut-être pas assez légitime pour demander de l'argent à des investisseurs. Malheureusement, dans l'agro-alimentaire, si tu n'as pas un produit innovant (comme vendre des insectes comestibles) ou si tu n'as pas un engagement social et solidaire spécifique très fort, tu n'as le droit à aucune aide, ni subvention. On a dû s'autofinancer en contractant des prêts personnels, en plus de travailler à côté. 

Emma. On a lancé ce premier stand “à la débrouille”. Comme on n'avait pas d'argent pour payer un ingénieur R&D afin d'élaborer la recette de la pâte à cookie crue, on a fait des recherches nous-mêmes. On a ensuite trouvé un sous-traitant à Montpellier qui a bien voulu faire une toute petite commande pour nous. Enfin, on a construit le stand nous-même pour limiter au maximum les frais.

Comment vous êtes-vous distinguées dans le monde déjà très prisé de la biscuiterie ?

Anastasia :  On a mis beaucoup de temps pour trouver une image de marque qui nous ressemble. On voulait rompre avec les codes traditionnels du cookie (le rose, le marron et l'univers très féminin) et de la cuisine (spatule et fouet) pour créer une marque lifestyle, un peu old school et streetwear. L'objectif est de mettre en avant davantage un mode de vie que notre produit. En dessinant nos T- Shirts, on voulait créer des vêtements qu'on aurait envie de porter dans la vraie vie. Je pense que c'est grâce à ça qu'on est le seul food concept à Citadium (magasin streatwear à Paris, ndlr.) à avoir eu du succès. On a rendu tendance le fait de manger des cookies. 

Emma. On joue aussi énormément sur le fait de vendre un produit peu connu. Quand les gens voient le terme “pâte à cookie crue”, ils ne sont jamais indifférents, que ce soit positivement ou négativement. Ça fait forcément parler. C'est grâce à tous ces éléments qu'on a réussi à nous faire connaître petit à petit, sans aucun budget en communication. On mise sur le bouche-à-oreille et le côté viral sur les réseaux sociaux.

200 000 abonnés sur les réseaux sociaux, des vidéos vues jusqu'à 4 millions de fois sur TikTok. Comment avez-vous fait ?  

Anastasia. Ça prend du temps, ça aussi, pour trouver la bonne manière de capter l'attention des internautes. Je dirais avant tout qu'il faut tester. Pour l'instant, le concept qui a le plus fonctionné, ce sont les vidéos des clients en train de choisir leurs cookies. Ça plaît car ce sont de vrais témoignages, spontanés, parfois drôles et parfois touchants. 

Pour nous, le premier enjeu était (et c'est toujours le cas, même cinq ans plus tard) d'éduquer le consommateur pour faire tomber les a priori concernant la pâte à cookie crue. Même si c'est de plus en plus connu, les gens ont encore pas mal de réticences d'un point de vue sanitaire. Notre job, c'est de leur expliquer à travers nos vidéos que c'est ok, ce n'est pas mauvais pour la santé. 

Vous vendez désormais des cookies mi-cuits et cuits plus traditionnels. Pourquoi ne pas rester sur votre produit phare et différenciant ?  

Anastasia. C'est une stratégie commerciale qui a porté ses fruits. Depuis qu'on l'a mise en place, notre chiffre d'affaires a complètement évolué. L'objectif est d'attirer une autre typologie de clients qui ne viendraient pas nous voir si on ne faisait que de la cookie dough. Ceux qui nous connaissent, notamment à travers les réseaux sociaux, viennent nous voir pour la pâte à cookie crue, mais ceux qui nous découvrent sur place n'ont pas forcément envie de goûter à ce nouveau produit. Il fallait leur proposer quelque chose de plus traditionnel et accessible. D'autant que notre stand de pâte à cookie crue ressemble de loin à un stand de glace. Pour continuer à vendre toute l'année, il fallait qu'on se diversifie.

Est-ce difficile d'intégrer le secteur de l'agro-alimentaire en tant que nouvel acteur et en tant que femme ? 

Emma. Oh, oui ! L'industrie alimentaire est vraiment un monde très masculin. Au début, personne ne nous prenait au sérieux. On nous disait qu'on n'y arriverait pas et que ce n'était même pas la peine d'essayer, qu'on n'était que des petites étudiantes avec un “petit business de cookies” faits dans notre cuisine. Mais, même si on n'était pas sûres de nous, on était sûres de notre produit. Plus on nous fermait des portes et plus on avait envie de faire nos preuves. Aujourd'hui, on est très fières de notre parcours. Plusieurs fournisseurs et magasins, qui nous avaient dit non à l'époque, reviennent nous voir pour des collaborations. Les portes s'ouvrent enfin avec de beaux partenaires comme Citadium, le Printemps, Longchamp, la Grande épicerie de Paris... Ça prouve qu'on a réussi notre pari, qu'on a fait nos preuves et qu'on a notre place désormais.

Qu'est-ce qui vous a permis d'être reconnue dans le milieu, selon vous ? 

Anastasia. Je pense que c'est grâce à notre modèle économique viable immédiatement. On a un produit qui fonctionne, on a une bonne marge qui nous permet de nous développer sans problème. Comme on n'a pas fait de levée de fonds, on a dû s'auto-financer. Alors, si on n'avait pas été rentable tout de suite, on n'aurait pas pu dupliquer nos pop-up store, ni embaucher du personnel, ni rien. Et ça, ça nous permet d'être désormais solides sur nos appuis. Quand on va voir un partenaire, on n'est plus “deux petites étudiantes” mais deux cheffes d'entreprise qui ont des magasins dans les plus grands centres commerciaux de France et dont les produits sont distribués dans les enseignes de Franprix. 

Comment passe-t-on justement du pop-up store au marché de la grande distribution ?

Anastasia. Personnellement, je ne voulais pas y aller car la grande distribution est un milieu qui me faisait un peu peur et qui est très compliqué. Mais quand Franprix nous a contactées sur LinkedIn, on ne pouvait pas dire non. Même si ce n'était pas notre objectif, on ne pouvait pas passer à côté d'un tel chiffre d'affaires et de cette visibilité auprès d'un autre public. 

Emma. Finalement, cette nouvelle collaboration a été un véritable challenge et nous a permis de nous développer à une plus grande échelle. Pour répondre à leurs commandes, on a dû revoir tous nos process de production. Ça nous a obligées à être hyper carrées sur les normes alimentaires, sur la traçabilité de nos produits. On a déménagé dans un laboratoire de 150 m2 et on a dû également investir dans des nouvelles machines afin d'aller plus vite, notamment dans les étapes de la pesée des biscuits et l'ensachage qu'on faisait jusqu'à présent à la main. Aujourd'hui, on est capable de produire 1,5 tonnes de pâte à cookie crue par jour et 1000 cookies à l'heure. C'est énorme !

Comment avez-vous vécu ce passage à la production industrielle ?

Emma. Ça nous a soulagées parce que maintenant, on n'a plus qu'à trouver les clients pour rentabiliser cet investissement de plusieurs dizaines de milliers d'euros. On vise la grande distribution mais surtout le secteur de la RHF (restauration hors du foyer, ndlr.).

Anastasia. S'il y a une chose qu'on a compris un peu tard dans l'entrepreneuriat, c'est qu'il faut voir grand dès le début, sinon on n'avance pas. On aurait très bien pu rester dans notre laboratoire de 50 m2 à faire des cookies à la main. Mais à rester dans cette zone de confort, on n'aurait jamais évolué et on aurait été frustrées. Avec nos nouveaux outils, on se donne les moyens d'aller plus loin, de construire une industrie alimentaire, de viser des gros clients. C'est excitant et c'est ce qu'on aime ! 

Vous êtes-vous heurtées à des difficultés inattendues à ce stade d'industrialisation ?

Emma. Clairement, la recherche d'un laboratoire suffisamment grand ! Déjà, parce que les locaux ne sont généralement pas aux normes puisque chaque activité alimentaire à ses propres process. Il faut forcément prévoir des travaux. Ensuite, à Paris, on trouve soit des petites surfaces en mode cuisine partagée ou des laboratoires de 30-50 m2, soit des grandes surfaces de 1000 m2.  Il n'y a pas de juste milieu. On a perdu six mois pour trouver un local adapté en faisant jouer nos contacts. On s'est finalement installées dans des locaux de mon ancienne école d'ingénieurs, EPF.

Et maintenant, quelle est la suite ? 

Emma. Notre ambition est de dupliquer au maximum nos pop-up stores et surtout d'ouvrir la première franchise de Cookie Dough en France. Mais il faut faire vite, car le marché de la biscuiterie est en pleine croissance et on risque à tout moment d'être dépassées.

Quels conseils donneriez-vous à de futurs entrepreneurs ?

Emma. C'est important d'avoir à l'esprit dès la création de votre entreprise jusqu'où vous voulez aller. Est-ce que vous souhaitez créer une entreprise familiale ? Est-ce que vous souhaitez faire grandir votre entreprise pour la vendre ? Si oui, à quel prix ? Sans cette vision claire de la destination finale, c'est compliqué d'avancer. Au départ, on ne savait pas ce qu'on voulait. A chaque fois qu'on franchissait une étape, on se disait “et maintenant, on fait quoi ?”. Sauf que le temps de se retourner, le marché avait avancé sans nous. Depuis qu'on s'est fixé un objectif à long terme (qui consiste à faire grossir WeDough jusqu'à un certain point avant de la vendre), il ne nous reste plus qu'à dérouler le plan. 

Anastasia. C'est aussi essentiel d'apprendre à bien vous entourer. S'il y a une chose qu'on aimerait aujourd'hui, c'est faire partie d'un réseau pour avoir des conseils et des réponses à nos questions. On se sent un peu seules, parfois. Mais paradoxalement, on a appris qu'il ne fallait pas écouter tout le monde, au risque de se perdre dans la masse des avis. Les gens nous conseillent sur ce qu'ils connaissent. Si vous demandez à un professionnel de la grande distribution, il vous dira de ne faire que de la grande distribution, sans adapter son discours à votre situation. Entourez-vous de personnes qui croient en vous et en votre projet et qui vous aideront à avancer quelle que soit la direction que vous souhaitez prendre.