En cette rentrée, où les organisations syndicales entendent relancer la question des salaires, la tendance ne leur a vraisemblablement pas échappé. Le taux de marge des sociétés non financières a, pour le troisième trimestre consécutif, progressé au printemps. Sur la période, ce ratio qui rapporte l'excédent brut d'exploitation (EBE) à la valeur ajoutée de l'entreprise a atteint 33,2 % contre 31,7 % au cours des trois mois précédents, selon les données publiées par l'Insee le 31 août.
Les économistes eux-mêmes avouent avoir été surpris. « C'est 1,6 point de plus qu'en 2018 avant la crise du Covid, et autant qu'en 2019 où le taux de marge avait été gonflé par le double versement du CICE. Malgré les chocs, les entreprises françaises sont dans une situation plutôt favorable sur le plan financier. Ce n'était pas le cas après la crise de 2008 où leur taux de marge avait baissé », observe Mathieu Plane, économiste à l'OFCE.Les prix progressent plus vite que les salaires
En valeur absolue, l'EBE s'est élevé à 125 milliards d'euros entre les mois d'avril et juin 2023, « un montant jamais vu dans le passé », reconnaît Denis Ferrand, directeur général de l'institut Rexecode, proche des milieux patronaux.Sur le deuxième trimestre, les entreprises ont profité du recul des prix de l'énergie et de nombreuses matières premières, sans répercuter la baisse pour le moment. Deux autres facteurs ont également contribué à l'amélioration de la rentabilité. La productivité par tête - soit le PIB produit ramené au nombre de salariés - a commencé à se rétablir après six trimestres d'affilée de baisse. « La vitesse de décélération des créations nettes d'emploi a été surprenante », explique Denis Ferrand. Celles-ci sont, en effet, tombées de près de 87.000 au premier trimestre à 19.700 sur la période, selon la première estimation de l'Insee qui publiera les chiffres définitifs ce jeudi.En parallèle, les prix pratiqués par les entreprises françaises ont progressé plus vite que les salaires, de 2 points environ, selon les calculs de Mathieu Plane. Alors qu'elles avaient encaissé sans relever leurs tarifs l'envolée de leurs coûts pendant une bonne partie de 2022, les sociétés non financières ont continué à répercuter les hausses subies, allant même parfois au-delà en augmentant leur marge. Ce qui a soutenu la vague inflationniste en ce début d'année.
« Au deuxième trimestre, les marges des entreprises ont été le premier moteur de l'inflation en France en contribuant à hauteur de 3,4 points à la hausse des prix », calcule Maxime Darmet chez Allianz Trade.Pour les économistes, ce tableau doit toutefois être nuancé, les données macroéconomiques recouvrant des situations disparates secteur par secteur, voire entreprise par entreprise. « Les taux de marge en France se sont globalement redressés dans la plupart des branches industrielles. En revanche, ils restent très mauvais dans les services, note l'économiste d'Allianz Trade. Par ailleurs, ils restent faibles et inférieurs à ceux constatés chez nos voisins européens. »Des « surprofits »
En réalité, trois secteurs tirent la moyenne : l'énergie, les services de transport ainsi que les industries agroalimentaires, particulièrement concernées par le phénomène de rattrapage. Ces dernières font d'ailleurs l'objet de toute la vigilance de Bercy, décidé à faire passer au plus vite dans les tarifs la baisse des cours des matières premières agricoles. Le sujet est suivi de près par Emmanuel Macron. « Quelques groupes de l'agroalimentaire ont passé des hausses de prix massives » et font des « surprofits », a tancé lundi le chef de l'Etat lors de son interview à Hugo Travers.
Entre le sujet brûlant des salaires et le débat sur l'opportunité de faire contribuer les entreprises au redressement des comptes publics, les taux de marge devraient continuer d'être surveillés comme le lait sur le feu au cours des prochains mois. Les prix des matières premières et de l'énergie (qui remontent) seront décisifs. Tout comme la dynamique des salaires. « Face à une demande intérieure atone, la possibilité pour les entreprises de faire passer des hausses de prix va être de plus en plus difficile », juge Maxime Darmet. Selon l'expert, « le seul facteur susceptible de soutenir le taux de marge des entreprises dans les prochains mois serait une nouvelle amélioration de la productivité ».