« On passe d'une sidération à l'autre. » Après le scrutin européen, la dissolution de l'Assemblée, la poussée du Rassemblement national (RN) au premier tour des élections législatives, la poussée du Nouveau Front populaire (NFP) au second tour a surpris. Le patronat ne déroge pas à la règle. Lui aussi est sous le choc. « On pensait le RN fort, mais il ne l'était pas tant que ça ; on nous a expliqué pendant trois semaines que le front républicain ne marchait pas et il a marché ; tout cela conduit à beaucoup, beaucoup d'humilité », résume Eric Chevée, vice-président de la CPME chargé du social, qui pointe l'ampleur de la participation au scrutin de dimanche.

Davantage remonté contre le programme économique du NFP que contre celui du RN, voici le patronat confronté, selon un de ses représentants, à une double réalité : une gauche qui est « en situation de gouverner » mais pas seule, et au sein de laquelle le poids de LFI reste à préciser ; une situation qui ne va vraisemblablement pas se décanter avant plusieurs semaines.

L'inquiétude est forte au sein du monde patronal, qui pointe en particulier l'enjeu de l'endettement de la France. Toutefois, lundi, personne ne s'est lancé la fleur au fusil dans des déclarations va-t-en-guerre, hormis le mouvement Ethic, présidé par Sophie de Menthon, qui a appelé dans un communiqué à constituer un « Front de libération des entreprises ». Ailleurs, le ton est policé et la prudence reste de mise, à l'image de la réaction très mesurée sur les marchés.

Poursuite des mesures de simplification

Relevant que « les Français n'ont pas fait émerger une majorité claire », les artisans, commerçants et professions libérales de l'U2P estiment dans un communiqué qu'il faut « apaiser le pays en bâtissant des majorités de projets » sur des « compromis raisonnables ». Ils plaident pour la poursuite des mesures de simplification et la généralisation du test TPE-PME sur toute mesure envisagée.La CPME prévient, elle, que « les premiers signaux qui seront envoyés aux entrepreneurs et aux entreprises seront déterminants ». Le Medef, lui, affirme que « la politique économique menée depuis neuf ans […] est la bonne réponse pour affronter les défis des transitions écologique et numérique » et cible les mesures économiques du NFP. Il est le seul à s'adresser à Emmanuel Macron, qu'il qualifie même de « garant de la cohésion nationale », l'invitant à faire le « choix du pays plutôt que celui des intérêts partisans ».

« L'incertitude reste de mise », observe de son côté Frédéric Coirier, coprésident du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti). Pour que les entreprises se remettent à investir et à embaucher après le coup d'arrêt provoqué par l'annonce de la dissolution, « il faut que la situation s'apaise et se clarifie rapidement », insiste-t-il, réclamant « la poursuite des politiques engagées ».

Devant l'absence de majorité à l'Assemblée, il reconnaît aussi souhaiter l'émergence au sein du nouveau gouvernement « d'un bloc suffisamment pragmatique pour faire avancer les sujets et trouver des compromis ». Il avoue un espoir. « Ce sont le Parti socialiste et François Hollande qui ont entamé le redressement compétitif de la France avec le CICE, la simplification du dialogue social, et Emmanuel Macron a amplifié le mouvement à partir de 2017. Cela ne serait pas cohérent de revenir dessus. » Pour Gilles Widawski, le président de la commission attractivité des conseillers du commerce extérieur, « le pire que pouvaient imaginer les investisseurs étrangers a été évité ». « Les extrêmes n'ont pas remporté une majorité à l'Assemblée, et la gauche ne peut gouverner seule. Une gauche réaliste associée à un bloc central pourrait présenter un programme de nature à les rassurer », veut-il croire.Jean-Roch Varon, président du cabinet de conseil EY, qui réalise le baromètre de l'attractivité en Europe, résume l'équation à venir : « Nous avons trois mois cruciaux devant nous. En temps normal, il y a chaque trimestre 300 décisions d'investissements internationaux en France, mais certains projets risquent d'être perdus pour le pays si l'instabilité politique dure. » Pour lui, le gouvernement issu des élections devra veiller à ce que le paquet économique qu'il propose ne bouscule pas les perspectives économiques du pays et va dans le sens du sérieux budgétaire attendu de la France.