« J'ai passé une chouette journée. J'ai bien détruit la planète » : l'exposé de Sylvain Boucherand, vice-président de l'association Humanité et Biodiversité (qui fut présidée par Hubert Reeves jusqu'en 2015) percute l'assistance. Non, « on ne connaît pas de patrons qui se parlent ainsi en rentrant le soir. Les entreprises ne partent pas de zéro mais il faut aller plus vite et plus loin », enchaîne l'expert. Ce matin-là, ils sont une soixantaine de dirigeants de PME à avoir bravé les méandres du quartier de la Défense, pour entendre parler « biodiversité », dans les locaux de la CPME. Le WWF vient d'alerter sur le déclin « catastrophique » des populations de vertébrés sauvages, à l'approche de la COP16 sur la biodiversité, qui se tient jusqu'au 1er novembre.

La biodiversité, l'affaire des Etats, ne s'est pas encore fait une place à part entière dans les entreprises et a fortiori dans les PME sans ressource dédiée. Le sujet est « dans une phase ascendante avec un impératif d'acculturation », dit-on au Medef. Comme la CPME et l'Union des entreprises de proximité (U2P), l'organisation patronale est présente depuis plusieurs années au Comité national pour la biodiversité. Des fédérations professionnelles, comme celles des carrières, des golfs ou des cosmétiques, se sont engagées avec des chartes et des labels. Mais les entrepreneurs, qui ont d'autres priorités face aux chiffres record des défaillances, sont perdus. « Commencez par diagnostiquer vos sites », recommande Sylvain Bergerand, pour qui la biodiversité doit être « la nouvelle boussole des entreprises ». Il peut aussi parfois s'agir de transformer son coeur de métier, comme cette PME industrielle d'Auvergne-Rhône-Alpes qui, produisant des graisses et des lubrifiants pour les voitures à moteur thermique, va utiliser son savoir-faire pour produire des produits cosmétiques bio.

La stratégie nationale pour la biodiversité signée en 2023 par Elisabeth Borne promettait, pour 2025, 5.000 entreprises labellisées « Engagées pour la nature », en clair ayant déposé des plans d'action en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030. Elles ne sont pour l'heure que 300 à avoir rejoint ce programme de l'Office français pour la biodiversitécréé il y a cinq ans. Et si les grands groupes ont été les premiers à y adhérer, les TPE-PME progressent doucement. Leur présence (65 % du total) a poussé l'établissement à simplifier les démarches et à lancer un processus de territorialisation.

Dossier complexe

A partir de l'an prochain, cinq des onze agences régionales de la biodiversité porteront le programme en région. Pour faciliter le passage à l'acte des PME, elles proposeront des fiches clefs en mains. « Des catalogues de solutions avec bénéfices métier que demandaient les PME », dit Clémentine Anglada, consultante-chercheure au sein de Vertigo Lab, bureau d'études bordelais spécialisé sur le sujet. Faute de maturité des entreprises, elle a surtout travaillé avec des acteurs publics. Mais après avoir participé à une opération pilote régionale impliquant neuf PME, ETI et filiales, le cabinet, encouragé par les évolutions réglementaires, finalise une offre d'accompagnement pour le secteur privé.

Comme Vertigo Lab, les experts attendent un coup d'accélérateur sur le sujet. Sur le millier d'indicateurs de durabilité définis par la CSRD, 121 concernent la biodiversité. La directive européenne, qui impose aux entreprises de plus de 250 salariés de communiquer un bilan socio-environnemental, touchera à terme les PME de leurs chaînes d'approvisionnement. Pour autant, alors que le climat peut se résumer à un indicateur (le taux de gaz à effet de serre dans l'atmosphère), la biodiversité est un dossier complexe. Décrire par des paramètres les équilibres du vivant et identifier l'effet négatif d'une action sont aujourd'hui le coeur du sujet, a expliqué aux patrons à la CPME, Bertrand Galtier, vice-président du Comité national de la biodiversité.

« C'est une claque »

« L'objectif est de faire réfléchir les chefs d'entreprise sur les causes du déclin de la biodiversité sur toute la chaîne de valeur », précise Clémentine Anglada. Des outils émergent, comme la plateforme Entreprises et biodiversité du réseau de l'association Orée ou du « Diag biodiversité », qui sera mise en place par la BPI et l'Ademe à la fin du premier trimestre 2025, spécifiquement pour les TPE-PME. Aiguillonnée par Azulis Capital, son fonds minoritaire, La Phocéenne de cosmétiques (48 millions de chiffre d'affaires), PME qui se revendique aux avant-postes de la RSE, a évalué l'impact de ses activités sur l'environnement et la biodiversité. Résultat : les matières premières et la fabrication des produits (Le Petit Olivier, Lovea, et Laboratoire Vendôme) représentent 61 % de son empreinte carbone et 80 % de son empreinte terrestre. Une remise en cause de sa dépendance aux huiles végétales. « Quand vous faites votre diagnostic et que vous prenez conscience que votre activité a un effet négatif sur la biodiversité, c'est une claque, prévient Catherine Guerniou, la patronne de La Fenêtrière, dans le Val-de-Marne (2 millions de chiffre d'affaires) connue pour ses engagements RSE. Il faut s'y préparer et trouver des axes d'amélioration. » Ne serait-ce que pour continuer à accéder à certains marchés, même si les PME vertueuses ne sont pas encore favorisées dans les appels d'offres publics.

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