Merci de faire le nécessaire », « merci de ta réactivité » ou l'équivalent anglo-saxon « Pls fix » Ces formules, insérées dans l'objet ou le corps d'e-mails professionnels, pourraient passer pour anodines si elles ne se multipliaient pas à longueur de journée - y compris en dehors des heures officielles de travail.

« L'effet de répétition valorise en filigrane une forme de débordement professionnel. C'est caractéristique de l'hyperconnexion , ce lien continu avec son travail en tout lieu et à toute heure », décodent Arnaud Rayrole, directeur général de Lecko, une société qui conseille et fournit une plateforme en ligne de conduite de changement orientée data, ​et Gaëtan de Lavilléon, cofondateur et président de l'agence de conseil et formation en sciences cognitives CogX. « 10 % des collaborateurs sont hyperconnectés », affirment-ils, étude conjointe à l'appui.

Le droit à la déconnexion oblige pourtant les entreprises françaises de plus de 50 salariés à veiller à ce que leurs salariés ne croulent pas sous des mails le soir et le week-end et qu'ils soient légalement protégés s'ils ont éteint leur smartphone durant ce temps personnel. Il n'empêche. « L'hyperconnexion est un sujet identifié mais mal géré », poursuit Arnaud Rayrole. « Elle peut entraîner de gros risques de surcharge mentale et de fatigue, causés par une quantité excessive d'e-mails et de réunions », complète Gaëtan de Lavilléon. Nous voici toutes et tous prévenus.

Objectiver les rythmes de travail

Pour quantifier l'hyperconnectivité en France et objectiver les rythmes de travail dans un contexte post-Covid, Lecko et CogX sont allés jusqu'à analyser deux années d'activité de 20.000 utilisateurs de Microsoft 365. « Celles de personnes travaillant au sein de bureaux comme d'employés de terrain », précisent les deux dirigeants. « Une première ! » s'enthousiasment-ils.« L'idée était d'obtenir un jeu suffisamment consistant de données susceptibles d'être étudiées par les sciences cognitives pour en évaluer les impacts sur les collaborateurs et ainsi pouvoir interpréter toute baisse d'efficacité ou perte de motivation, du goût du travail et des liens sociaux, jusqu'au burn-out », explique Arnaud Rayrole.

Trois profils

Les travaux ont identifié et sondé trois profils caractéristiques. D'abord, l'hyperconnecté(e), qui passe en moyenne 188 heures en réunion par trimestre et 9,2 heures à envoyer des mails. « Les hyperconnectés ingurgitent une somme d'informations qui diminue leurs capacités cognitives, de concentration et perturbe leurs limites biologiques », détaille Gaëtan de Lavilléon. L'enchaînement de réunions entraîne une fatigue mentale intense susceptible d'accroître les erreurs, d'obérer la prise de décision et d'augmenter l'impulsivité ainsi que les difficultés à réguler ses émotions. « Travailler en débordement revient à grignoter sur les temps nécessaires de récupération, avec les risques sur la santé qui s'ensuivent en termes d'augmentation du rythme cardiaque ou du taux de sucre dans le sang. », précise le docteur en neurosciences. A l'opposé, 15 % des collaborateurs, au profil dit « zen », interagissent uniquement durant les heures usuelles de travail. Quant aux « modérés » - une large proportion de 75 % -, ils se retrouvent ponctuellement en surcharge de travail, du fait de pics d'activité. « Mais, attention, ces modérés peuvent, à tout moment, basculer du côté des hyperconnectés », avertit Gaëtan de Lavilléon.

Au-delà des campagnes de sensibilisation

Autant de risques inhérents, en grande majorité, à l'organisation du travail elle-même, causés par un volume excessif d'informations à traiter à travers des réunions et des échanges durant la journée. Ainsi qu'à, d'une façon plus isolée, une organisation personnelle et des comportements qui, sans être volontaires, relèvent de la difficulté à délimiter sa journée de travail. « Il va falloir déboulonner cette fausse croyance : être multitâches n'est pas un signe d'efficacité », martèle Gaëtan de Lavilléon.

Comment favoriser un meilleur équilibre chez les collaborateurs quand, d'après une enquête d'OpinionWay pour Eléas, seules 16 % des entreprises ont mis en place des règles de déconnexion et seulement 23 % disposent d'une charte de bonnes pratiques des mails ? D'abord en questionnant les pratiques internes de collaboration, le fonctionnement et l'usage des réunions… Sachant que, selon le professeur Philippe Zilberzahn, « la seule façon de lutter contre la réunionnite est d'agir sur l es modèles mentaux des managers ».

Essentielles, les campagnes de sensibilisation ne sont pas suffisantes. Il convient d'en suivre l'impact avec des indicateurs. Ces données des plus précieuses sont de nouveaux garde-fous susceptibles d'aider les entreprises à remplir leur obligation de protection de la santé des salariés. De quoi compléter leur baromètre social et nourrir l'évaluation de la qualité de vie au travail (QVT), sans rentrer dans un suivi individualisé. Un total de 10 % d'hyperconnecté, note l'étude sur la base des seuls e-mails et réunions… « Un premier point d'alerte », reconnaît Gaëtan de Lavilléon, conscient de l'impact non négligeable des diverses boucles WhatsApp, Slack, etc. et de leurs sonores notifications.