Le lexique de la tech regorge de mots insolites et d'animaux magiques. Parmi eux, on trouve le « prosumer », qui peut se traduire par prosommateur en français. Un terme aussi présent dans le lexique de l'énergie et qui désigne un consommateur qui produit sa propre énergie (contraction de producteur et consommateur). Chez les start-up, il correspond à la contraction de professionnel et consommateur. Un « prosommateur » achète des logiciels professionnels soit pour son usage personnel, soit dans le cadre de son travail.Ce phénomène n'est pas récent, mais il a pris de l'ampleur ces dernières années avec l'explosion du SaaS (logiciels sur abonnement) et la crise sanitaire. De plus en plus de start-up se positionnent sur ce marché à l'image d'Async, start-up new-yorkaise créée par deux Français (Ilan Abehassera et Dan Attali), qui vient tout juste de se lancer.Elle a développé un logiciel qui permet d'envoyer et recevoir des messages vocaux asynchrones afin d'éviter les réunions à rallonge. « Le message vocal est un format de communication super productif. Chaque jour, il y a près de 7 milliards de messages vocaux partagés sur WhatsApp », indique Ilan Abehassera. Async permet notamment de retranscrire par écrit les notes vocales grâce à une bonne dose d'intelligence artificielle et de répondre par oral ou écrit à des moments précis de la note. La start-up va commencer par s'adresser aux patrons ou salariés de start-up, des cibles friandes de ce genre d'outils.

Des produits viraux

C'est aussi ce qu'a fait Folk, un logiciel de gestion de contacts (prospects, clients, partenaires, candidats…) lancé début 2022. « Nous avons beaucoup d'utilisateurs dans les start-up, les agences et les acteurs de l'écosystème de l'innovation, comme les fonds de capital-risque », précise Simo Lemhandez, cofondateur de la jeune pousse qui revendique 50.000 utilisateurs.

Pour convaincre les salariés d'utiliser ces solutions professionnelles, ces start-up ont créé des produits à l'interface léchée et facile à utiliser, comme pour les applications grand public. « Il faut faire un produit que les gens adorent et auquel ils vont devenir addicts. Le CRM [logiciel de relation client, NDLR] est d'habitude un outil corporate pas très fun et émotionnel. Nous en avons créé un avec un design très épuré », dit Simo Lemhandez.Et une fois qu'ils sont addicts, ils en parlent autour d'eux. C'est ainsi que ces start-up peuvent vite devenir virales. « Il y a un fort bouche-à-oreille chez les outils 'prosumer'. Si vous êtes satisfaits du produit, vos collègues auront tendance à regarder au-dessus de votre épaule », souligne Vivek Sodera, cofondateur de Superhuman, une solution d'e-mail, qui a levé plus de 110 millions de dollars depuis sa création en 2015.Cette viralité permet d'avoir un coût d'acquisition très bas, alors que les outils BtoB nécessitent des investissements commerciaux et marketing importants. « Il n'est pas utile d'avoir une équipe de commerciaux au début, seulement un service client qui s'occupe de la rétention et l'engagement client », souligne Ilan Abehassera qui a cinq salariés.Mais souvent ces produits sont gratuits pour les utilisateurs ou à des tarifs assez bas, ce qui ne permet donc pas aux start-up de générer des revenus, du moins suffisamment pour être rentables.En équipant de plus en plus de salariés en sein d'une même entreprise, elles espèrent signer un gros contrat avec l'entreprise à terme. « En fait, les outils 'prosumer' sont utilisés comme des chevaux de Troie pour pénétrer dans l'entreprise », image Simo Lemhandez. « Une fois que la masse critique est atteinte, on peut faire appel à des commerciaux pour pousser la solution à l'entreprise », renchérit Vivek Sodera, qui a mis en place cette stratégie il y a deux ans à partir du moment où une société compte plus de 25 % d'utilisateurs de Superhuman.La start-up californienne fait partie des références du « prosumer » aux côtés d'autres noms de plus en plus connus en Europe, comme Notion, le logiciel de traitement de texte valorisé plus de 10 milliards de dollars, Airtable (11 milliards de valorisation), la plateforme qui veut détrôner Excel, ou encore Calendly, outil de planification de rendez-vous valorisé 3 milliards.