Encore trop complexe, un langage opaque et des demandes jugées souvent peu concrètes pour des entreprises de taille moyenne… Ce sont, en substance, les réactions des dirigeants qui ont testé le reporting extra-financier adapté aux PME que Bercy va faire remonter ce 21 mai à la Commission européenne. Dans le cadre d'une consultation publique lancée auprès des pays membres par l'Efrag, l'organisme européen de consultation des normes, sur la directive CSRD qui enjoint les entreprises à publier des données de développement durable dans leur rapport annuel, onze PME françaises ont servi de cobayes. Identifiées par la Confédération des petites et moyennes entreprises, elles ont testé depuis début avril une norme allégée, dite « norme volontaire », qui pourrait bien leur être appliquée à l'avenir.

Certes, pour l'instant, les PME ne sont pas soumises à la réglementation. Seules les entreprises de plus de 250 salariés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires (et/ou 25 millions d'euros de bilan) y sont assujetties pour l'exercice 2025, et les PME cotées pour 2026. Mais les autres sentent le couperet se rapprocher. « I l est évident que tous les fournisseurs et sous-traitants vont se retrouver confrontées à cette obligation qui incombe à leurs donneurs d'ordre. Seuls les artisans qui travaillent avec des particuliers vont y échapper », affirme Sabrina Dupin, directrice projets chez Calix Conseils.

Un tiers des éléments demandés pose problème

Pour s'adapter à leur taille, le questionnaire qui a été soumis aux PME compte 71 questions, en comparaison du millier destiné aux grands groupes (et 200 pour les PME cotées), et passe au crible les actions menées en matière environnementale (pollution, eau, biodiversité, changement climatique…), sociale (salariés, chaîne de valeur…) et de gouvernance. Sur le papier, le dispositif concocté par Bruxelles se veut donc plus simple.

Mais lors de la réunion de restitution fin avril à Bercy, le son de cloche était tout autre. Si les dirigeants sont aujourd'hui conscients de la nécessité d'investir le champ de la durabilité, ne serait-ce que pour pouvoir emprunter auprès des banques et des investisseurs, cette norme synonyme de lourdeur administrative continue à les effrayer. Six indicateurs sur les 71 (soit 8 %) du questionnaire sont jugés difficiles : la biodiversité surtout, pour des secteurs qui s'estiment non concernés ; les enjeux de durabilité matériels et l'adaptation, qui nécessitent d'estimer de manière chiffrée l'impact du changement climatique sur les activités. Mais de manière plus globale, environ un tiers des éléments demandés pose problème. « On n'entend pas de dirigeants révoltés par l'exercice mais ils ont besoin qu'il soit plus compatible avec leur réalité » résume-t-on à Bercy.

« Le millefeuille commence à être indigeste »

« Sur certains points, l'accès à la donnée est complexe, demande du temps et de l'investissement », rapporte Sophie Dartois, responsable RSE de La Phocéenne de Cosmétique (connue pour la marque Le Petit Olivier), une des PME participantes. D'ici à 2026, la réglementation devrait concerner cette entreprise de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), puisqu'elle dépassera le cap des 50 millions d'euros de vente. « Pour une entreprise comme la nôtre, qui conçoit et commercialise les produits, mais qui sous-traite la fabrication, certaines questions demandent que l'on remonte jusqu'aux champs ! », dit-elle. La partie d'analyse de la chaîne de valeur (Scope 3), qui implique de mesurer les impacts sur les fournisseurs, est jugée quasi irréalisable par beaucoup.

C'est le point épineux pour la cave coopérative viticole Les Hauts de Montrouge, dans le Gers, qui produit 120.000 hectolitres de vin et armagnac. « Cela suppose que j'analyse les données de mes 53 vignerons adhérents sur les 1.250 hectares de vigne. Là, le millefeuille commence à être indigeste », reconnaît Pierre Daniel, à la tête de cette entreprise de 23 salariés et 12 millions d'euros de chiffre d'affaires. « Nous devrons forcément faire appel à des prestataires, comme des cabinets conseils. »Il n'y a pas que le fond qui chagrine. Certains dirigeants sont aussi désorientés par la forme. « La formulation des questions est faite dans un jargon européen hypertechno, parfois incompréhensible. On nous parle de 'diligence raisonnable', de 'double matérialité' et la moitié des questions est qualitative ; c'est très subjectif », regrette Christian Marquis, qui dirige le spécialiste de la charpente Combles de France (32 salariés et 7 millions d'euros de chiffre d'affaires), à Saint-Pierre-de-Salerne, dans l'Eure. Cette poignée de patrons demande aussi que ces indicateurs soient standardisés. « Les banques, la Banque de France, les donneurs d'ordre, ont leur propre questionnaire sur la durabilité, il faut au moins que ce rapport extra-financier serve pour tous », plaide Christian Marquis.