Pourrons-nous, dans quelques années, scanner avec notre smartphone le QR Code figurant sur nos bouteilles ou bocaux consignés, avant de les glisser dans les poubelles de notre immeuble ? Puis récupérer, avec la même appli, le montant de la consigne ? C'est ce que l'on appelle la consigne digitale. Différentes variantes de ces DDRS (« digital deposit return systems ») ont été testées en Irlande, au Portugal et même pendant l'édition 2022 du tournoi de tennis de Wimbledon. « La technologie du DDRS a été écartée pour le futur système de consigne des bouteilles plastiques au Royaume-Uni, car elle pose encore de nombreux problèmes opérationnels : par exemple, si vous achetez un pack de six bouteilles, il faut activer le code de chacune d'elles lors de votre passage en caisse », explique Alexis Eisenberg, directeur France et Francophonie de Reloop Platform, une ONG belge militant pour une économie circulaire des emballages. L'Ademe, l'Agence de la transition écologique, étudie cependant la question du DDRS pour la France et devrait rendre ses conclusions dans les prochaines semaines.
Les responsables de Reloop Platform sont toutefois optimistes. Dans leur rapport 2022, ils estiment que la part de la population mondiale soumise à des systèmes obligatoires de consigne pour les emballages de boissons à usage unique, en plastique ou en métal, va doubler en quatre ans pour atteindre un peu moins de 800 millions en 2026. Les Français seront-ils concernés ? Réponse d'ici à septembre, lorsque sera achevée la concertation nationale avec tous les acteurs impliqués, menée actuellement par Bérangère Couillard, la secrétaire d'Etat à l'Ecologie. La loi Agec (antigaspillage pour une économie circulaire) de 2020 prévoit en effet « la possibilité de mettre en place un dispositif de consigne mixte pour recyclage et pour réemploi » si les objectifs de réduction, de collecte ou de réemploi des emballages plastiques à usage unique ne sont pas atteints. « Chaque année, 12,5 milliards de bouteilles plastiques sont vendues en France », rappelle Alexis Eisenberg. « Ces bouteilles se recyclent très bien, le problème c'est la captation. En France, on ne collecte que 60 % des bouteilles en PET, alors que la loi européenne fixe un objectif de 90 % d'ici à 2029 », précise Augustin Jaclin, président et cofondateur de Lemon Tri, une entreprise qui a déployé en France plus de 450 automates : les consommateurs qui y apportent leurs bouteilles plastiques touchent un ou deux centimes par flacon.
L'exemple allemand
Comment atteindre cet objectif ? Première possibilité : mettre en place, comme dans treize pays européens, un système de consigne pour les plastiques, qui sont ensuite recyclés ou « réutilisés ». L'impact sur le taux de collecte est immédiat. Outre-Rhin, les bouteilles en plastique à usage unique sont consignées 25 centimes d'euros. « En 2021, 98 % des bouteilles plastiques consommées dans notre pays ont été recyclées », détaille Ines Oehme, cheffe de la section Responsabilité des produits, au sein de l'Agence allemande de l'environnement. Malheureusement, les collectivités locales françaises sont souvent opposées à de tels systèmes de consigne : elles ont massivement investi dans des points de collecte volontaire ou des centres de tri. Des efforts soutenus par Citeo, l'entreprise chargée de gérer la fin de vie des emballages, à laquelle contribuent 50.000 adhérents. « Nous reversons chaque année 900 millions d'euros à 700 collectivités locales dont nous finançons les bacs de tri : nous les payons à la tonne d'emballage collectée », explique Jean Hornain, directeur général de Citeo. Les collectivités locales craignent que les circuits de collecte parallèles destinés à la consigne ne leur ravivent le meilleur des déchets : le PET. La tonne de plastique recyclé se vend actuellement 600 euros en France, contre 200 euros il y a deux ans.Seconde possibilité : remplacer le plastique par du verre consigné, plus écologique. « Nos bouteilles sont réutilisées 20 fois en moyenne », calcule Edouard Haag, président de la brasserie Meteor, qui pratique la consigne en Alsace depuis le début du XXe siècle. Avec une consigne à 20 centimes (pour une bouteille de 75 cl) ou 10 centimes (33 cl) les taux de retour flirtent avec les 97 %. Une exception notable : le secteur des cosmétiques, où malgré une consigne à 1 euro sur certains flacons en verre, le taux de retour est inférieur à 60 %. Beaucoup de cosmétiques étant offerts, les bénéficiaires de ces cadeaux oublient que l'emballage est consigné.L'impact environnemental d'une bouteille consignée est environ quatre fois moindre que celui du verre perdu ou recyclé. « Refondre du verre perdu nécessite de le porter à 1.500 degrés ; une bouteille réemployée est lavée à 90 degrés », rappelle Adrien Vincent, coordinateur de Zéro Déchet Strasbourg, une association militant pour une gestion plus durable des détritus. Inconvénients ? La consigne pour réemploi nécessite une logistique relativement complexe : « Il faut mettre en place la retenue de la consigne sur les logiciels des caisses en magasin, récupérer les bouteilles vides lors de tournées, trier le verre, stocker avant de laver, laver… », énumère Benoît Guigal, cofondateur de L'Incassable, un projet de réemploi des bouteilles en verre sur le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône. Laver nécessite de lourds investissements : « Avec deux autres opérateurs de consigne, Rebouteille, près de Lyon, et Alpes Consigne, à Grenoble, nous avons investi 2,5 millions d'euros dans une toute nouvelle ligne de lavage permettant de traiter 3.500 bouteilles par heure », annonce Clémence Richeux, responsable du développement de Ma Bouteille s'appelle Reviens. Chaque détail compte : cet opérateur de consigne drômois a mené des travaux de R&D avec des imprimeurs et des fabricants de colle pour s'assurer que les étiquettes des bouteilles partent facilement au lavage.Le contexte est porteur. « Le prix du verre a doublé : un producteur de boisson doit désormais acheter 52 centimes ses bouteilles neuves de 75 cl, poursuit Clémence Richeux. Avec une bouteille lavée à 35 centimes, nous sommes compétitifs. » De ce fait, les installations de lavage se multiplient. « Il y a déjà 12 unités de lavage en France ; elles seront 17 à la fin de l'année », constate Alice Abbat, responsable réemploi au sein de Réseau Vrac et Réemploi, qui fédère 1.200 professionnels (fournisseurs d'emballage, collecteurs, laveurs…). Parmi les derniers projets annoncés : une start-up nantaise, Bout'à Bout', va construire une usine capable de laver 60 millions de bouteilles et bocaux par an. Dans la liste des investisseurs figure Verallia, deuxième verrier français. « Nous voulons aider la filière française du réemploi à redémarrer, en apportant financement mais aussi conseils industriels ou logistiques », explique Pierre-Henri Desportes. Le directeur général de Verallia France espère, grâce à l'engouement pour l'environnement, faire revenir à la bouteille en verre bien des secteurs (lait, eau, jus de fruits…) qui l'avaient abandonnée.