Le CEA, Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, IFP Energies Nouvelles et Helidax entrent dans l'histoire de la propriété industrielle en Europe. Ces deux grands centres de recherche stratégiques pour la souveraineté de la France et cette PME du groupe DCI, spécialisée dans la formation et la mise à disposition d'hélicoptères high-tech aux armées, figurent sur la liste des premiers bénéficiaires du brevet européen unitaire, qui est lancé officiellement ce 1er juin, simultanément avec la juridiction unifiée du brevet.
Au cours de la période de transition, qui a démarré début janvier pour donner la possibilité aux entreprises de procéder à des demandes anticipées, l'Office européen des brevets (OEB) a délivré environ 500 brevets unitaires. Une trentaine de sociétés françaises ont déposé des requêtes à ce jour. La communauté des PME, dont la part dans les dépôts de brevets européens stagne autour de 20 % ces dernières années, est une cible de choix pour ce nouveau dispositif qui offre un moyen plus simple et plus rentable d'obtenir une protection élargie des produits innovants, des technologies de rupture, etc.
Le brevet européen actuel perdure-t-il ?
Le brevet unitaire ne remplace pas le brevet européen classique, ni les brevets nationaux. Ces trois systèmes vont coexister et peuvent être combinés par les entreprises pour leur apporter une plus grande flexibilité en vue d'assurer la protection de leurs innovations. « La stratégie de propriété industrielle est toute la question, plus complexe et générique que le seul brevet unitaire, qui se pose aux PME françaises. C'est intéressant pour elles d'aller vers ce nouveau système européen qui a l'avantage d'avoir une portée globale pour un coût attractif quand elles ont besoin de se protéger à l'exportation », estime Pascal Faure, directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi).
Le brevet unitaire est délivré par l'OEB conformément aux règles et aux procédures de la Convention sur le brevet européen actuel. C'est à la demande du titulaire qu'un effet unitaire lui est accordé, s'il remplit tous les critères requis. La protection de son invention est alors automatiquement élargie aux 17 Etats membres de l'Union européenne qui ont, à ce jour, ratifié l'accord relatif à la création d'une juridiction unifiée des brevets, dont le siège est situé à Paris. Il lui suffit de déposer une seule requête auprès de l'OEB, qui devient le guichet unique pour la gestion centralisée de ce nouvel outil de propriété industrielle et le paiement des taxes afférentes.Quand faire la demande d'effet unitaire ?
Le demandeur doit d'abord finaliser la procédure de délivrance d'un brevet européen classique auprès de l'OEB. C'est à partir de la date de publication de la mention de délivrance au bulletin européen des brevets qu'il dispose d'un délai d'un mois pour décider s'il préfère le valider dans un certain nombre de pays européens, comme c'est le cas aujourd'hui, ou s'il opte pour une demande d'effet unitaire.Jusqu'à présent, dans la phase éclatée et complexe qui suit la délivrance d'un brevet européen, le titulaire doit acquitter, pour le valider et le maintenir en vigueur, des annuités de différents montants en plusieurs devises auprès de chacun des offices nationaux - comme l'Inpi pour la France -, dans les Etats membres où il décide de protéger son innovation. Sans compter que chaque pays a ses propres exigences juridiques, en particulier au niveau des délais. Avec le brevet unitaire, il n'y aura qu'une seule taxe payable directement à l'OEB dans une monnaie unique - l'euro -, à travers une procédure normalisée avec un seul délai et aucune obligation de recourir à un mandataire, comme un conseil en propriété industrielle.Quels sont ses avantages et ses inconvénients ?
Jusqu'à présent, les contentieux sur les brevets européens sont plaidés devant les tribunaux nationaux compétents, impliquant autant de procédures administratives parallèles, alors que le brevet unitaire relève obligatoirement de la juridiction unifiée des brevets. « C'est une petite révolution et la première fois qu'on voit la naissance d'une juridiction européenne de cette importance », estiment Damien Colombié, conseiller en propriété industrielle et mandataire en brevets européens, et Camille Pecnard, avocat à la Cour, tous deux associés du cabinet Lavoix. « Le principal avantage de la juridiction unifiée du brevet est que les titulaires pourront faire respecter leurs brevets de manière plus simplifiée et plus rentable, en particulier dans le cas d'une contrefaçon transfrontalière impliquant des brevets prenant effet dans plusieurs Etats », explique un porte-parole de l'OEB. Revers de la médaille ? « Un tel système centralisé signifie que cette Cour unique pourrait également révoquer un brevet européen dans les 17 pays pour lesquels elle est compétente à ce jour. » Avec une crainte légitime : « L'inquiétude principale se concentre sur l'absence de jurisprudence de la juridiction unifiée des brevets, et les délais de procédure très courts pour réagir, surtout en défense », soulignent Damien Colombié et Camille Pecnard. Pour contourner ce problème, les entreprises qui ont déposé des demandes anticipées depuis début janvier ont pu enregistrer, à partir du 1er mars, un « opt-out » auprès de la juridiction unifiée du brevet, c'est-à-dire une option de dérogation. La France a pris les devants sur ce point décisif. « La loi française prévoit un filet de sécurité, car elle permet à une entreprise de maintenir le brevet national délivré pour une invention si le brevet européen unitaire est attaqué devant la juridiction unifiée des brevets et invalidé. On ne perd pas tout en France. Ce n'est pas le cas dans tous les pays européens », insiste Pascal Faure, qui estime que « les trois avantages de la juridiction unifiée des brevets - simplification administrative, réduction des frais de justice et sécurité juridique avec une seule jurisprudence - l'emportent sur ce seul inconvénient ».Quelle est l'économie potentielle ?
Pour rendre ce nouvel outil de propriété industrielle attractif et accessible à la majorité des entreprises, tout particulièrement aux PME, le coût du brevet unitaire est équivalent à la somme aujourd'hui acquittée pour la protection d'une innovation dans quatre principaux pays, dont la France, l'Allemagne et l'Italie. Estimations de l'OEB à l'appui, le montant global couvrant la validation et le maintien en vigueur du brevet unitaire pendant dix ans - durée de vie moyenne d'un brevet européen - s'élève à 7.400 euros, contre 7.600 euros dans quatre pays, comprenant toutes les taxes, les frais de traduction, les honoraires des mandataires, etc. Autre indicateur clé : le niveau des seules taxes annuelles cumulées sur une décennie est estimé à environ 4.700 euros pour le brevet unitaire contre 30.000 euros pour la couverture des 25 Etats membres qui avaient signé en 2013 l'accord de coopération renforcée.
Pendant une période transitoire d'au moins six ans après l'entrée en vigueur du brevet unitaire, les demandes d'enregistrement devront être complétées par une traduction en anglais si le brevet a été délivré en français ou en allemand, par exemple. Passé ce délai, cette traduction, qui n'a aucune valeur juridique, ne sera plus obligatoire, d'où une réduction supplémentaire du coût.Quel est l'impact des pays non couverts ?
Outre la question clé de l'évolution du coût réel, le taux d'adhésion au brevet unitaire dépendra aussi du nombre de pays européens qui intégreront au final le nouveau système. L'exclusion du Royaume-Uni, mis hors-jeu par le Brexit, est déjà un frein à son adoption dans de nombreux secteurs industriels.
Sur la base de leur retour d'expérience, les associés du cabinet Lavoix confirment que « les questionnements portent surtout sur les coûts et la nécessité de quand même procéder à des validations nationales en plus du brevet à effet unitaire pour couvrir des grands pays comme l'Espagne ou la Pologne, dans l'Union européenne, et le Royaume-Uni, hors UE », qui ne participent pas à ce jour au nouveau dispositif. « En théorie, dix autres Etats membres de l'Union européenne pourraient ratifier l'accord sur la juridiction unifiée des brevets ou adhérer au système, qui commence avec 17 pays. L'OEB espère qu'ils seront nombreux à le faire une fois que le brevet à effet unitaire sera opérationnel et que les Etats pourront être convaincus de ses avantages », déclare un porte-parole de l'Office européen des brevets.