Sylvain Dumas, c'est l'Obélix de l'économie sociale et solidaire (ESS). Cet entrepreneur est tombé dans la marmite dès le début de sa carrière professionnelle, dix premières années dans une coopérative d'aide à la création d'entreprise, avant de lancer la sienne. En 2018, à l'âge de trente-six ans, il crée, avec deux autres fondateurs, la coopérative Villages Vivants. L'entreprise achète et rénove des locaux commerciaux en zone rurale, puis les loue à des services de proximité. Aujourd'hui, Villages Vivants emploie 13 salariés pour un chiffre d'affaires de 634.000 euros.

Le modèle coopératif attire de plus en plus d'entrepreneurs soucieux de donner du sens à leur projet. Au total, la France compte plus de 22.000 coopératives, tous secteurs confondus : agriculture, banque, distribution, etc. Il s'agit souvent de structures qui fédèrent. Mais on dénombre aussi parmi elles près de 4.000 coopératives de production (SCOP) ou d'intérêt collectif (SCIC). Des entreprises dont le modèle économique est fondé sur la gouvernance démocratique - principe d'un sociétaire une voix quel que soit son nombre de parts détenues - et une limitation de l'enrichissement des actionnaires.

Denis Simiand est aujourd'hui président du groupe Nea, un ensemble de coopératives qui emploie près de 600 personnes avec 12 millions d'euros de chiffre d'affaires. L'entrepreneur a démarré en association, avant de créer, en 2003, une coopérative. Son projet était de favoriser l'emploi des personnes en situation de handicap. « J'aimais le sentiment que rien n'était figé, ça touchait ma fibre entrepreneuriale car je pouvais bâtir et faire avancer l'entreprise », raconte-t-il.La gouvernance démocratique est la principale de ses motivations. Dans le modèle coopératif, chaque sociétaire dispose d'une seule voix en assemblée générale. En coopérative de production, les salariés doivent détenir au minimum 51 % du capital de l'entreprise et 65 % des droits de vote. Tandis qu'au sein des SCIC, le pouvoir est partagé entre différents collèges : salariés, fournisseurs, collectivités locales, consommateurs, etc. Ainsi, la SCIC Villages Vivants compte quatre collèges et 52 sociétaires, dont 10 salariés.

Des dirigeants élus en assemblée générale

En coopérative, les salariés-sociétaires participent donc à l'élection du conseil d'administration, désignant par la suite le président de l'entreprise. « Le pouvoir peut nous échapper et c'est souhaité, atteste Sylvain Dumas. Cela établit un équilibre, indépendamment de la capacité financière de chacun. » Les fondateurs risquent donc de « perdre » leur place après chaque assemblée générale. Cécile Perradin est salariée et présidente du conseil d'administration de la coopérative de production textile Ardelaine, créée en 1982 par cinq cofondateurs. Elle souligne « qu'il n'y a ni enjeu financier ni enjeu de pouvoir. Les salariés choisissent d'élire une personne en qui ils ont confiance et qui assume les responsabilités institutionnelles ». C'est une différence majeure avec la société commerciale traditionnelle.

Le président de Nea, Denis Simiand confirme : « Les autres dirigeants ont dû mal à comprendre. Je suis un salarié-actionnaire de l'entreprise donc si l'assemblée générale décide de ne pas m'élire, elle peut le faire. » Ce projet collectif nécessite, de la part des fondateurs, d'effacer leurs ambitions individuelles et de penser à long terme à la pérennité du projet. Autre différence : la répartition des bénéfices. Dans les coopératives, une part minimum (15 %) doit être affectée en fonds propres, une autre (15 % également) à la participation ou à l'intéressement de tous les salariés. En clair, l'enrichissement des actionnaires est fortement limité. Certains, comme Village Vivants, choisissent même de ne distribuer aucun dividende. La coopérative foncière s'est construite sur la volonté de « travailler en collectif dans un modèle démocratique en rupture avec celui des start-up à la recherche d'un profit », appuie Sylvain Dumas.

Une coopérative, du fait de ses spécificités, n'est ni cessible ni délocalisable. C'est « un modèle économique sur lequel on ne peut spéculer sur le capital », complète Béatrice Barras, cofondatrice et sociétaire d'Ardelaine. Quarante ans après sa création, cette SCOP ardéchoise fabrique toujours des vêtements et des matelas en laine. Elle emploie 49 personnes pour un chiffre d'affaires de 3,14 millions d'euros en 2021.La preuve qu'une coopérative peut être rentable à long terme, loin d'un projet purement utopique. Denis Simiand prévient : « Le système coopératif a souvent été vu comme la panacée lors de la faillite d'entreprise, mais c'est faux. C'est une entreprise qui doit valider des critères de rentabilité et de pérennité. » Objectif de chiffre d'affaires, recrutement, diversification, changement d'échelle… une coopérative se gère presque comme n'importe quelle entreprise. Une autre contrainte à ne pas négliger avant de se lancer.