Va-t-on vers de nouvelles hausses des prix dans les Caddies en 2024 ? Alors que les négociations commerciales viennent de débuter entre industriels et distributeurs, le sujet est crucial pour les PME et les ETI de l'agroalimentaire, qui constituent le gros des troupes. Depuis les débats sur l'inflation, leurs dirigeants ont le sentiment d'être invisibles derrière les groupes internationaux.

Pourtant, ces 3.000 entreprises de conserves, confitures, riz, légumes secs, charcuteries ou surgelés fabriquent près de la moitié des produits agroalimentaires français. Elles représentent 57 % des ventes, soit un chiffre d'affaires de 112 milliards d'euros, et 64 % des emplois du secteur avec leurs 286.000 salariés.C'est ce que révèle une étude du cabinet Roland Berger réalisée pour l'Adepale, la principale fédération professionnelle des PME et ETI du secteur. « Nos entreprises assurent la sécurisation des approvisionnements en lien avec le monde agricole, tout en étant ancrées dans les territoires », fait valoir Jérôme Foucault, son président. Leurs principaux clients sont les enseignes de la grande distribution (65 % des débouchés).Mais depuis deux ans et la guerre en Ukraine, qui a provoqué une envolée des coûts (énergie, emballage, transport…), une majorité de ces entreprises se retrouvent sous tension. Avec des difficultés côté investissements, alors que l'outil industriel est, pour certaines, vieillissant. « L'enjeu est de les aider à retrouver des marges de manoeuvre, alors que beaucoup sont déjà endettées, souligne Stéphane Tubiana, chez Roland Berger. Du fait de ce retard, les grands groupes ont creusé l'écart technologique. »

Certaines n'ont toujours pas remboursé les prêts garantis par l'Etat, les fameux PGE débloqués au moment du Covid, dont les échéances ont été étendues sur six ans maximum. « Les excédents bruts d'exploitation générés ne sont pas suffisants pour pouvoir réinvestir, car les surcoûts n'ont pas été passés dans les dernières hausses des prix. Elles ont pris sur leurs marges », poursuit l'expert. Le résultat aussi de quinze ans de déflation liée à la guerre des prix entre enseignes.

Ces difficultés sont mises en avant alors que des associations de consommateurs interpellent la filière sur « les profiteurs de crise » et des « marges dans l'agroalimentaire à un niveau historique » . L'Insee invoque un taux de marge de 48 % au deuxième trimestre 2023. Faux, selon l'Adepale, qui avance, pour les PME et ETI, une marge d'exploitation au plus haut, entre 4 % et 5 %.

L'envolée des prix (+20 % en deux ans) n'a pas arrangé leurs affaires. Car ce sont sur elles que les distributeurs font pression pour limiter les prix, ce qui pèse sur leur rentabilité. D'autant que ce sont aussi leurs donneurs d'ordre. Les marques de distributeurs représentent quelque 30 % à 35 % de leur chiffre d'affaires, et 50 % de leurs volumes. Pas question de se fâcher avec Carrefour, Système U et autres, qui font tourner les usines.

Besoin de modernisation

La percée des marques de distributeurs ne suffit pas à compenser la baisse de production. « Elles ont gagné des parts de marché, mais les volumes sont en retrait au global, car les ménages réduisent leur consommation », note Alexis Jacquand, directeur général de Petit Navire, spécialiste breton des conserves de poissons (80 millions d'euros de chiffre d'affaires). Ce qui conduit certains sites à tourner au ralenti. « Comme nos usines sont moins performantes, nous ne pouvons pas jouer sur la productivité, note Jérôme Foucault. Si nous ne nourrissons plus les Français, il faudra importer. »

En plus de se moderniser, les PME vont devoir relever le défi de la transition écologique, avec un mur d'investissement estimé à 15 milliards d'ici à 2050. « Une entreprise n'est durable que si elle est rentable », insiste Frédéric Oriol, président-directeur général de Daunat, fabricant de sandwichs et salades préemballés (320 millions d'euros de chiffre d'affaires) qui a cinq sites en France. « Quand on demande une aide, soit on est trop gros, soit trop petit. Même en s'appuyant sur des conseils extérieurs, les résultats sont les mêmes. On ne décroche aucun soutien », regrette-t-il. Les choses avancent toutefois sur le terrain. Dans son usine de poissons fumés à Quimper (Finistère), Petit Navire a réduit de 20 % en deux ans sa consommation d'eau et de 85 % celle de gaz.

Fonds public-privé

« Toutes les aides sont fléchées vers la décarbonation, mais nous avons besoin d'investir dans l'appareil productif », alerte de son côté Alain Borde, le patron de Maison Borde, un spécialiste des champignons des bois en conserve et surgelés, installé en Haute-Loire. Faciliter l'accès à ces dispositifs fait partie des demandes prioritaires.Recruter est aussi devenu un casse-tête. Maison Borde - qui emploie 100 salariés et réalise 50 % de ventes à l'export - en sait quelque chose. « Nous sommes installés à Saugues, un village à 1.000 mètres d'altitude, sur les hauteurs du Gévaudan, sans transports, détaille Alain Borde. Il y a un profond enracinement depuis plus de cent ans. Mais c'est dur de faire venir des gens. »

Face à ces enjeux, un plan de dix mesures a été présenté par l'Adepale à Bercy, fin novembre. « La filière est fragilisée, si on veut assurer la souveraineté alimentaire, il faut renforcer ce maillon industriel », plaide Jérôme Foucault. D'ores et déjà, un fonds public-privé réclamé par les PME va être mis sur pied en juin. Doté de 500 millions d'euros, il va concerner tout type d'investissements. Par ailleurs, une enveloppe d'aides publiques de 200 millions d'euros sur trois ans sera, elle, consacrée à la stratégie bas carbone, en complément des dispositifs existants.