Dix ans après l'effondrement d'ateliers textiles au Bangladesh, drame qui révélait au monde les ravages de la fast fashion, la notion d'achat responsable est devenu un sujet pour les entreprises. Au-delà des étiquettes et du prix facial existe un coût complet, tenant compte du coût social et environnemental. Une question de conviction, de législation, de cohérence ou de pression des clients ou donneurs d'ordre, c'est selon. Cette transposition de la RSE dans le métier des achats est récente. « Les entreprises commencent à s'agiter depuis cinq ans, et on observe une accélération claire depuis deux ans, mais c'est un sujet sur lequel les PME démarrent seulement », analyse Christine Larsen, associée du groupe d'audit Grant Thornton, qui a publié, fin avril, les résultats d'une enquête Opinionway menée auprès de dirigeants d'entreprises.
Devoir de vigilance
L'accélération est liée à l'évolution réglementaire et législative - avec le devoir de vigilance qui s'applique depuis 2017 aux gros donneurs d'ordre, puis les lois Agec en 2020 et climat et résilience en 2021, qui concernent aussi les PME. Et à la crise du Covid - qui a montré l'importance de la relocalisation des chaînes de valeurs. Selon l'enquête Opinionway, qui s'est concentrée sur les ETI, 73 % des entreprises de taille intermédiaire ont engagé des démarches en ce sens, avec en tête des préoccupations la protection environnementale (81 %), la décarbonation (57 %), l'amélioration du bien-être au travail (51 %), l'impact sur l'économie locale (41 %), l'éthique et la loyauté des pratiques (28 %), la diversité (24 %) et les droits humains (13 %). Les deux tiers d'entre elles évaluent la performance RSE de leurs fournisseurs, parmi lesquels des PME qui se trouvent embarquées dans cette nouvelle exigence éthique.
« Main dans la main »
Tirées par leurs donneurs d'ordre et poussées par les nouvelles lois, les PME n'ont aujourd'hui plus le choix. « Dans les entreprises de toutes tailles, il est important de travailler main dans la main avec son pool de fournisseurs, au moins de rang 1 », rappelle Nathalie Paillon, à l'Observatoire des achats responsables, association qui a notamment contribué, sur ce terrain-là, à la norme internationale ISO 20.400. C'est ce que fait le groupe Schmidt (Cuisines Schmidt et Cuisinella), à Lièpvre, dans le Haut-Rhin, en accompagnant la décarbonation de ses fournisseurs. Schmidt fait travailler quatre entreprises locales ayant recours à des travailleurs en situation de handicap, est en passe d'obtenir la certification B Corp (qui répond à des exigences sociétales et environnementales) et a augmenté de 20 % ses approvisionnements en provenance d'Alsace. Car le métier d'acheteur évolue, que les grandes entreprises forment aux droits humains, à l'environnement, à l'inclusion, comme chez TotalEnergies qui a entrepris de former les 1.400 qu'il compte dans le monde. Les directions achats se lancent dans la cartographie des risques et la priorisation des fournisseurs. « Un prérequis important », pour Ariane Thenadey, à la direction Achats de l'énergéticien qui a rédigé un petit guide sur le sujet. « On travaille avec 100.000 fournisseurs de rang 1 ; on commence par les 500 plus gros qui contribuent à la moitié du chiffre d'affaires », explique-t-elle.
Verre recyclé
Les effets commencent à se faire sentir. Selon une étude du cabinet de conseil Bain & Company et de la plate-forme d'évaluation RSE Ecovadis, les entreprises qui mettent en place des bonnes pratiques éthiques, environnementales et sociales dans leur chaîne d'approvisionnement seraient plus rentables de 3 à 4 %. Et la démarche crée de l'emploi : l'association Produit en Bretagne, qui fédère 490 PME et promeut l'achat local et responsable, estime en avoir créé « 20.000 à 30.000 » depuis 1993, sur 110.000 aujourd'hui, selon Malo Bouessel du Bourg, son directeur général.
Les plus convaincus font rimer achats responsables et innovation. Le groupe Pochet, spécialisé dans le packaging et labellisé Relations fournisseurs & Achats responsables en janvier dernier, a mis au point un verre recyclé premium avec son client Chanel, pour les flacons de son fameux No 5, et le belge Sibelco. Un investissement global de plus d'1 million d'euros. « Le partenariat a consisté à récupérer, dans la collecte de verre, le plus transparent et le plus brillant possible et répondant aux exigences de nos fours », explique Serge Le Hénaff, le directeur des achats du groupe situé à Clichy, qui flèche aussi de plus en plus ses dépenses vers le secteur du handicap.
Eurotab, une PME de la Loire spécialisée dans les pastilles de javel et tablettes de produits d'entretien, a, elle, mis au point un détergent avec la sucrerie francilienne Lesaffre. « En utilisant un sous-produit de la betterave sucrière, qui remplace le polyéthylène de glycol, on a donné naissance à notre premier détergent écoconçu », détaille Jacques Brosse, directeur Achats et Innovation. Une seule et même bannière qu'il revendique : selon lui, 50 % des innovations matière sont issues de la démarche achats responsables. Une raison de plus pour les PME de s'y plonger.
* « Elaborer une stratégie d'achats responsables, méthode Thenadey en cinq étapes », Afnor Editions.