La deeptech est une force montante dans la French Tech. Il était temps qu'elle dispose d'une association regroupant ses principales forces vives. C'est chose faite avec France Deeptech, dont le lancement a été annoncé mercredi 29 novembre à Paris. L'association est un pendant à France Digitale, mais pour les jeunespousses qui utilisent des technologies de rupture issues des laboratoires de recherche. « Elles ne se sentaient pas représentées par des corps intermédiaires existants », justifie Michel de Lempdes, associé du fonds d'investissement Omnes Capital et premier président de France Deeptech. Ces start-up ont des spécificités par rapport à leurs cousines du digital. Elles sont souvent fondées par des docteurs, ont un temps de développement plus long et génèrent des revenus parfois plusieurs années après leur création. Certaines développent en outre des technologies critiques pour la souveraineté nationale.

Parmi la centaine de start-up fondatrices de l'association, qui seront réunies au sein d'un collège, on retrouve Pasqal (ordinateur quantique), Exotec (robotique), Aqemia (biotech), Preligens (défense) ou encore Gourmey (viande cellulaire). Autant de sociétés qui illustrent la grande diversité de la deeptech. En parallèle, l'association a créé un collège consacré aux fonds qui investissent dans le secteur (Quantonation, Omnes Capital, Supernova, Elaia, 360Capital, Innovacom, Tikehau, Jolt) et un autre rassemblant les plus gros laboratoires de recherche du pays (CNRS, Inrae, CEA, CNES, Onera). « Nous nous sommes dit dès le départ qu'il fallait inclure le monde de la recherche, sans lequel rien n'est possible », explique Michel de Lempdes.

Ces dernières années, les laboratoires se sont mis en ordre de bataille afin d'aider les chercheurs à donner un prolongement commercial à leurs travaux scientifiques. « Le changement en trente ans est abyssal », témoigne Antoine Petit, le président-directeur général du CNRS. « Au CNRS, nous créons entre 80 à 100 start-up par an. Par définition, elles sont presque toutes deeptechs. » Certains chercheurs se consacrent à 100 % à leur entreprise. Mais d'autres mènent des carrières hybrides, grâce à des aménagements dans leur emploi du temps. « Pascale Senellart est un excellent exemple de personne qui partage son temps entre le milieu académique et Quandela [une start-up du quantique, NDLR] », rappelle Antoine Petit.

Améliorer le système de financement

Pour aider l'écosystème à grandir, France Deeptech a lancé des groupes de travail sur quatre sujets cruciaux : le financement, le transfert de technologie, la commande publique et la réglementation du vivant. L'association fera ensuite une série de recommandations aux pouvoirs publics. L'accès au capital est érigé en priorité car le développement d'une deeptech coûte cher. En phase amorçage et en série A, le travail a été fait par les fonds spécialisés et Bpifrance. Mais c'est après qu'il y a souvent un trou dans la raquette.

« Pour la période 2024-2026, nous avons identifié un besoin de financement de plus de 12 milliards d'euros pour les sociétés deeptech qui ont déjà été financées en amorçage et en série A », rappelle Michel de Lempdes. « Si on n'arrive pas à les financer, ces sociétés n'auront pas d'autre choix que de trouver de l'argent aux Etats-Unis, au Moyen-Orient ou en Asie. » Pasqal, le leader français de l'ordinateur quantique, en est l'illustration. La start-up a fait entrer Temasek, le fonds souverain de Singapour, et Wa'ed Ventures, le fonds du géant du pétrole Aramco, à son capital lors de son tour de table de 100 millions d'euros.

Un autre point noir est la faiblesse du financement de la recherche fondamentale. La France consacre 2,2 % de son PIB à sa R&D, contre 2,9 % au Royaume-Uni, 3,1 % en Allemagne et 3,4 % aux Etats-Unis, selon l'OCDE. Le manque de moyens pousse des chercheurs à partir à l'étranger pour poursuivre leurs recherches et, parfois, y créer leur start-up. « Un des sujets dont il faut s'emparer en France, c'est : comment on fait pour mieux financer la R&D ? », explique Antoine Petit. Peut-être en commençant par accepter que les géants du capitalisme français puissent contribuer à ce financement ? En début d'année, LVMH (propriétaire du groupe Les-Echos-Le Parisien) a renoncé à installer un centre de recherche en bordure de l'école Polytechnique, un des gros pourvoyeurs de cerveaux dans la deeptech, en raison de contestations internes. Un an plus tôt, TotalEnergies avait aussi dû reculer.

Les associations de start-up sont une vraie spécificité de la French Tech. Elles sont très puissantes dans des verticales comme la finance (France Fintech), l'agriculture (Ferme Digitale) ou la biotech (France Biotech). Elles travaillent souvent en bonne intelligence avec France Digitale, qui est généraliste et joue un rôle accru à Bruxelles, où l'avenir de certaines start-up se joue, comme dans l'intelligence artificielle. France Deeptech veut se consacrer, pour l'instant, au terrain français mais a déjà des idées derrière la tête. « On peut, dans le futur, répliquer ce modèle avec d'autres pays européens. En tout cas, c'est une ambition que nous avons », souligne Michel de Lempdes.