Embellir et redynamiser la « France moche ». C'est l'ambition du gouvernement qui s'attaque à la refonte des entrées de villes, en redessinant les zones commerciales vieillissantes rattrapées par l'urbanisation. L'idée est d'y développer des logements, des bureaux et des équipements publics, mais aussi de rendre de l'espace à la nature. Tout en déplaçant les commerces existants vers des zones plus attractives et en mettant aux normes climatiques les « passoires thermiques » que sont ces cubes en bardage métallique.

Déjà, 45 villes moyennes - d'Agen à Epinal en passant par Morlaix ou Rochefort - se sont portées candidates, dans le cadre du second volet du programme Action coeur de ville lancé en février, pour bénéficier d'un accompagnement dans ce domaine. Et se partager les 24 millions d'euros du fonds dédié créé par l'Etat. La Banque des territoires doit de son côté apporter 15 millions.

Une vingtaine de démonstrateurs

Ce lundi, l'exécutif ira plus loin et donnera une nouvelle ambition à ce projet d'intérêt national qui marquera l'action d'Olivia Grégoire, la ministre chargée du Commerce et de son collègue Christophe Béchu chargé de la Transition écologique et la Cohésion des territoires. Le tandem doit annoncer un appel à projets auprès des collectivités pour une vingtaine de démonstrateurs. Et proposer des outils pour faciliter ces opérations.

La loi Climat et Résilience a décrété le zéro artificialisation nette des sols (ZAN) à horizon 2050. Il faut donc reconstruire la ville sur la ville. Les zones commerciales des années 1960 avec leur alignement de « boîtes à chaussures » qui défigurent le paysage représentent une belle réserve foncière.

« Il s'agit à la fois de rendre la ville plus belle, de rénover le commerce et d'apporter de nouveaux usages. Ce sont des projets enthousiasmants, mais qui nécessitent un peu d'aide », explique Marie Cheval, PDG de Carmila, la foncière de Carrefour et présidente de la Fédération des acteurs du commerce des territoires.Les acteurs de l'immobilier sont dans les starting-blocks. « Il y a environ 6 millions de mètres carrés à convertir. Il faudrait déjà s'attaquer au premier million », estime Jacques Ehrmann, le directeur général d'Altarea. Philippe Journo, de la Compagnie de Phalsbourg, pionnier de ce type de restructurations avec des sites comme Atoll à Angers ou Waves à Metz, estime à une centaine les zones prioritaires.Les professionnels recensent au total environ 1.500 zones commerciales ou « retail parks » qu'ils divisent en deux catégories : celles qui déclinent et celles qui affichent un réel dynamisme. Pour reconvertir les premières, il faudra indemniser les commerçants qui peuvent se retrouver temporairement privés d'activité - avec parfois une perte représentant jusqu'à un an de chiffre d'affaires. Indemniser aussi le propriétaire des lieux ou le convaincre soit de vendre aux opérateurs de nouveaux projets, soit de participer lui-même à la mutation de sa zone. Chaque point de vente nécessite un permis de construire, une autorisation commerciale et moult autres documents administratifs. « C'est long et compliqué. Nous sommes heureux que l'Etat s'empare du sujet », tranche Philippe Journo.

« Simplification administrative »

« Il peut y avoir de la simplification administrative qui permettra de faire gagner du temps à ces projets », indiquait avant l'été Anne-Sophie Grave, la présidente du directoire de CDC Habitat - qui a lancé en décembre avec Frey et la Banque des territoires une foncière dotée d'une capacité d'investissement initiale de 200 millions d'euros pour transformer en quartiers mixtes des complexes commerciaux. Un premier projet a été lancé en juin à Montigny-lès-Cormeilles, dans le Val-d'Oise.

« Nous demandons à l'Etat de créer des périmètres de projets au sein desquels on pourrait transférer les enseignes sans avoir à obtenir de nouvelles autorisations commerciales », complétait Antoine Frey, patron de la foncière éponyme.

Le projet de loi sur l'Industrie verte - en cours d'examen - apporte une réponse à cette attente avec une disposition qui prévoit le transfert des autorisations réglementaires « sans création de surfaces de vente supplémentaires » et sans artificialisation de nouveaux sols dans le cadre d'une grande opération d'urbanisme.

Si cette disposition passe, elle permettrait un gain de temps considérable et « ce serait une énorme source de satisfaction », indique Antoine Frey. Il croit savoir que le gouvernement pourrait aussi autoriser par dérogation de créer du logement dans ces zones commerciales, sans en passer par une révision du Plan local d'urbanisme (PLU).Plus globalement, les spécialistes de l'immobilier commercial demandent le raccourcissement des délais d'instruction de leurs dossiers. « Sur le site des Trois Suisses dans le Nord, illustre Antoine Grolin, président de Nhood, la branche immobilière de la galaxie Mulliez, la création de 700 logements prendra dix ans. Si le délai est réduit à cinq ans, tous les paramètres du modèle économique s'améliorent. » De fait, ces opérations sont de longue haleine. Altarea a noué début 2021 avec Carrefour un partenariat pour transformer des zones commerciales en quartiers mixtes. Deux projets sont sur les rails à Nantes et à Sartrouville, avec pour chacun la création d'un millier de logements. « Il y en a encore pour cinq ans avant de commencer à livrer », calcule Jacques Ehrmann.Action coeur de ville a fait naître le métier de manager de centre-ville. Le gouvernement penche pour la création de managers du territoire et imagine la formation d'une équipe pour accompagner l'ingénierie des projets démonstrateurs. Antoine Grolin espère « un guichet unique dans chaque préfecture et chaque mairie » et un travail collégial.

Nhood - qui a une vingtaine de projets dans les tuyaux - a lancé il y a quelques mois le réaménagement de la zone Counord au nord de Bordeaux. « C'était un parking avec les classiques boîtes à chaussures. Nous bougeons le supermarché Auchan, nous créons du logement et rendons à la nature 35 % de la surface du parking », raconte Marco Balducci. Carrefour a noué, lui, un partenariat ambitieux avec Nexity. En fait, le mouvement pour la modernisation des zones commerciales est déjà sur les rails. Reste à lever les obstacles.