Mener à bien la transition énergétique n'est plus un sujet de débat dans l'industrie. Tous les grands industriels en France disposent d'une stratégie de décarbonation. Signe de son importance, celle-ci est portée par les directions générales dans deux groupes interrogés sur trois, révèle une enquête menée par KPMG et La Fabrique de l'industrie auprès de 38 dirigeants de grands groupes.

La question est, en revanche, celle du tempo de ces plans. Seuls 22 % des industriels s'attendent à une baisse de leur empreinte carbone supérieure à 10 % d'ici à 2024, ce qui correspond pourtant à l'objectif de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) en place depuis 2020. A l'horizon trois à cinq ans, 39 % seulement affichent des objectifs compatibles avec le projet de révision de cette stratégie visant à s'aligner sur les nouvelles ambitions européennes.

Les industriels ont surtout eu recours à des leviers de sobriété et d'efficacité énergétique. Tous ont ainsi changé leurs dispositifs d'éclairage et de chauffage, 86 % ont investi dans des machines moins énergivores et 83 % ont optimisé le rendement de leurs équipements. Mais « ces logiques incrémentales sont limitées, on ne parviendra pas à changer d'échelle sans repenser les systèmes de production et les modèles d'affaires », prévient Gilles Babinet, président du Conseil national du numérique et membre du comité national de l'intelligence artificielle générative.

Aux industriels qui opposent des montants d'investissements nécessaires trop élevés, dont les rendements sont en outre incertains, l'expert oppose une troisième voie : celle de l'apprentissage automatique (« machine learning »). « Avec sa capacité à traiter simultanément un grand nombre de facteurs, l'intelligence artificielle permet d'améliorer considérablement les taux de charge dans l'industrie », détaille Gilles Babinet.

Croiser les intelligences artificielles

Il observe que l'affectation des ressources dans les infrastructures et les équipements de production est très sous-optimale quel que soit le secteur. Dans la logistique, par exemple, le taux de charge des camions de livraison dans les villes ne dépasse pas 15 %. Quant aux réseaux énergétiques, ils sont dimensionnés pour un pic de capacité rarement atteint.Pour faire les meilleurs arbitrages, l'intelligence artificielle doit cependant pouvoir négocier à différentes échelles. « Ce que l'on voit arriver, ce sont deux types d'IA : celles qui gèrent les infrastructures d'une part et des agents personnels gérant des individus et des organisations plus petites d'autre part, les deux communiquant entre elles », précise-t-il. Chacune va arbitrer selon les priorités des univers qu'elle couvre et du cadre réglementaire. « Comme aux débuts d'Internet en 1994, les technologies sont disponibles, quelques start-up s'en saisissent, comme Califrais, qui optimise les flux de logistique du frais à Rungis pour limiter le gâchis de nourriture », observe Gilles Babinet. Mais ces initiatives sont parcellaires et il reconnaît qu'il faudra encore du temps pour que le mouvement se structure.