Sur le front des ressources humaines, certains signaux semblent au vert quant à la capacité des organisations à se doter des compétences nécessaires à la décarbonation. Ici, l'édition 2023 de l'indice mondial de compétitivité de l'Insead place la France dans le Top 20 des pays les plus aptes à « produire » des talents. Là, le VTE vert, ou volontariat territorial en entreprise porté par le ministère du Travail, consiste en une aide de l'Etat permettant aux TPE, PME et ETI de recruter un jeune diplômé accompagnant leur transition écologique et énergétique.

Reste que la bascule vers de nouveaux modèles suppose l'acquisition et la mobilisation d'expertises, si nombreuses et si diversifiées, que les recruteurs ne semblent pas au bout de leur peine. Sur le seul volet de la transition énergétique, un rapport mondial du Boston Consulting Group fait état de 7 millions de travailleurs manquant à l'appel d'ici à 2030, dont 130.000 dans l'Hexagone.

« La guerre des talents se fait déjà féroce et toutes les organisations redoublent d'efforts pour attirer les ingénieurs et les profils scientifiques », observe Marie-Christine Bert, la directrice des relations internationales et des partenariats avec les entreprises de l'Ecole des Ponts ParisTech, établissement sous tutelle du ministère de la Transition écologique.

Des programmes pour fidéliser

Et d'expliquer que « sur le marché du travail, le rapport de force est inversé en faveur de ces profils, désormais plus armés pour imposer leur vue, voire pour quitter un employeur si la dissonance est trop forte entre les ambitions environnementales affichées et les pratiques du quotidien ». L'heure est donc à la transparence et aux dispositifs de fidélisation, à l'instar « des programmes de formation ou de rotation sur différents métiers, qui sont regardés de près par les étudiants lorsque les recruteurs viennent leur présenter leur organisation ».

Chez Citwell, cabinet de conseil en chaîne d'approvisionnement et en opérations industrielles, Anaïs Leblanc, associée, confirme des « besoins en compétences sur l'ensemble de la chaîne, en amont et en aval ». Certains sujets, tels que le carbone, l'analyse du cycle de vie ou l'écoconception , sont nouveaux pour la plupart des organisations », pointe-t-elle.

Néanmoins, d'autres difficultés commencent à apparaître. « D'une part, au-delà des expertises techniques, il s'agit d'adopter une approche systémique, même si l'on exerce un métier dans les achats, dans la production, dans le stockage ou dans le transport. D'autre part, l'enjeu pour les organisations est de pouvoir s'appuyer sur des collaborateurs conscients qu'être en mesure de régler un problème ne suffit plus : dorénavant, il faut savoir s'adapter en permanence et, sur ce point, les entreprises ne sont pas prêtes », observe Anaïs Leblanc.

Au-delà de la formation initiale, où l'offre de cursus dédiés à la transition ne cesse de s'étoffer, la formation continue et l'« executive education » prennent également la voie de la décarbonation. « De plus en plus de formations diplômantes et certifiantes, comme les mastères spécialisés en immobilier et bâtiment durable, ou en construction numérique, permettent à des profils plus seniors de développer leurs compétences sur ces nouveaux enjeux », rappelle Marie-Christine Bert. Sachant que de plus en plus de groupes, de tout secteur, créent leur propre académie ou centre de formation en interne.

Des dispositifs qui montrent parfois leur limite, « par exemple lorsque la stratégie durable change d'échelle et que l'organisation doit faire monter en compétences un grand nombre de collaborateurs », souligne Anaïs Leblanc, qui alerte aussi sur la nécessité d'accompagner l'ensemble des parties prenantes. « Changer de modèle, par exemple en favorisant la location ou la réparation des produits suppose de s'assurer qu'il y a, par ailleurs, suffisamment de réparateurs, de diagnostiqueurs, etc. », dit-elle.

Enfin, hormis la montée en compétences et l'attractivité de la marque employeur, un autre défi s'invite sur le chemin de la décarbonation. « L'innovation et la créativité nécessitent parfois un management à part et, si certaines organisations montent des équipes de 'ninjas' ou de 'pirates' dont le rôle est de penser 'out of the box', cela ne fonctionne que si la direction générale y croit », conclut Anaïs Leblanc.