L'une des spécificités des entrepreneurs du monde maritime relève peut-être de leur passion commune pour les mers et les océans. Et de leur volonté de les préserver. « Il y a le paradoxe du surfeur : ce sport éveille notre conscience écologique, mais il est pratiqué avec des équipements polluants », relève Jérémy Lucas, le fondateur de Paradoxal Surfboards, une toute jeune start-up qui conçoit une planche de surf biosourcée à base d'algues vertes et sargasses.
Ce Breton développe un nouveau matériau qui, à terme, pourrait se répliquer à d'autres usages : paddle, kayak, planche à voile, etc. La planche, elle, imprimée en 3D, devrait être commercialisée en précommande d'ici à la fin de l'année. La plupart des start-up qui misent sur les mers et des océans développent des biomatériaux et/ou des technologies dites « hardware » - en opposition au « software », le logiciel. C'est le cas, par exemple, de FinX, qui développe des moteurs nautiques électriques et sans hélice, inspirés des nageoires des poissons ; ou encore d'Acqua. écologie, spécialiste du traitement et de la réutilisation des eaux usées, en milieux terrestre et marin.
Dépolluer les eaux usées
La solution de cette dernière peut être utilisée pour les cuves dans les bateaux de plaisance et éviter ainsi les « eaux noires », un fléau qui a défrayé la chronique cet été. Les eaux des îles des Glénan (Finistère) ont été contaminées par la bactérie Escherichia coli (E.coli), avec en ligne de mire les plaisanciers. Toutefois, la start-up est confrontée à un important travail de pédagogie. « Le sujet n'est pas des plus sexy pour les propriétaires de bateaux, qui préfèrent, par exemple, réaliser un covering [couvrir la coque d'un film adhésif esthétique, NDLR] que de parler d'eaux usées », sourit l'entrepreneur Romain Salza, docteur en biochimie et microbiologie, installé à Mèze (Hérault).Ses clients sont surtout des industriels dans les secteurs du bâtiment, du transport ou encore de l'agroalimentaire. « Ils ont des coûts, savent combien ils doivent payer à la fin du mois », souligne son patron, présent cette année au Yachting Festival, la grand-messe annuelle de la navigation de plaisance, qui s'est déroulée début septembre à Cannes.Les liens entre les start-up et les industriels, surtout dans le milieu maritime - secteur réputé conservateur, restent assez récents. « Longtemps, les grands industriels se sont approprié l'innovation. Mais nous observons un vrai changement de paradigme, avec toute une série de grands groupes qui regardent d'un autre oeil les start-up », remarque Jean-François Thau, secrétaire général de Mer Angels, un réseau de business angels spécialisés dans le maritime.Décarboner la filière
Signe que des liens se nouent petit à petit, l'armateur CMA CGM a annoncé début 2023 le lancement d'un appel à projets (doté de 200 millions d'euros) destiné aux start-up pour décarboner la filière maritime. Plusieurs jeunes pousses opèrent sur ce créneau, comme le logiciel de Spinergie, qui mesure et optimise les performances des navires. Côté financements, le secteur étant encore très jeune, les levées de fonds demeurent modestes. La start-up Abyssa cherche, elle, à lever 3 millions d'euros. Experte de la cartographie sous-marine à l'aide de robots sous-marins autonomes (AUV), elle vient d'être lauréate du plan France 2030 lancé par le gouvernement. Fondée par des océanographes, elle aide à mieux comprendre le patrimoine sous-marin.
Une technologie qui peut permettre, entre autres, l'identification des zones fragiles. De quoi aider certaines industries, comme celle des câbles sous-marins, à mieux prendre en compte les contraintes environnementales. « La demande est faramineuse », glisse Jean-Marc Sornin, le cofondateur.La thématique de l'impact est plus que présente dans les flux de dossiers, remarque Mer Angels, qui a investi 2,7 millions d'euros depuis sa création dans près d'une vingtaine de jeunes pousses. « Il y a de l'appétit. Nos investissements permettent, en moyenne, de générer un effet de levier de dix sur le financement de la start-up », avance Jean-François Thau. A noter aussi la présence de fonds spécialisés comme Impact Ocean Capital (40 millions d'euros), Mer Invest (15 millions d'euros) ou encore Blue Ocean de Swen Capital Partners (150 millions d'euros).