Pouvez-vous vous présenter succinctement ainsi que votre parcours ?
Je m'appelle Damien Caillaud et je suis co-fondateur de Kouide, qui est un cabinet de conseil en politique handicap ainsi que d'une startup qui s'appelle Gamino, une plateforme digitale de sensibilisation au handicap. Pour me présenter un peu plus personnellement, je suis moi-même en situation de handicap : je souffre d'une maladie qui répond au doux nom un petit peu barbare de spondylarthrite ankylosante. Tout ça pour dire que je suis expert handicap en entreprise depuis maintenant treize ans, mais qu'auparavant j'ai eu une première vie professionnelle. Au cours de cette vie professionnelle, j'ai occupé différentes fonctions dans un groupe agroalimentaire, entre autres celles de Responsable des ventes et celle de Directeur commercial France.
Quelles activités menez-vous avec Kouide ?
Chez Kouide, on accompagne des entreprises de toute taille dans leur politique globale liée au handicap, aussi bien dans les métiers du retail, du service ou de l'industrie. On a deux vœux pieux : le premier, c'est de rendre l'entreprise plus inclusive, et le second c'est que tout collaborateur ou collaboratrice en situation de handicap ou de fragilité du fait de sa santé soit épanoui dans son poste de travail.
Quels sont les bénéfices de la mise en œuvre d'une politique handicap en entreprise ?
A mon sens, la mise en œuvre d'une politique handicap c'est gagnant-gagnant. Dans le sens où l'entreprise est gagnante car cela lui permet de donner du sens à son activité, par cette démarche d'inclusivité. Au-delà de ça, l'inclusivité est un véritable levier d'attraction et de fidélisation pour l'entreprise. Bien évidemment pour la personne en situation de handicap, qui se dit que l'entreprise va attacher une importance à sa situation et son parcours, mais aussi pour les personnes dites valides. Pourquoi ? Tout simplement car on sait aujourd'hui que les personnes qui candidatent dans une entreprise veulent connaître ses valeurs, le sens qu'elle donne à son activité, et que cette dimension-là entre en ligne de compte.
Mais on s'aperçoit également d'autres bénéfices ; par exemple, une entreprise qui recrute des personnes en situation de handicap va connaître moins d'absentéisme de la part des personnes valides. Très souvent, ce sera aussi l'occasion pour l'entreprise de faire évoluer son management, vers un management inclusif adapté à tout le monde. Je pense par exemple à la communication : quand on s'adresse à une personne malentendante, qui pratique la lecture labiale, il est évident que l'on doit parler de face. A travers cette pratique, on s'aperçoit que c'est bien plus agréable pour tout le monde de se parler ainsi ! Et donc petit à petit, on remarque que les pratiques inclusives s'universalisent, au bénéfice de tous les salariés. J'en profite pour préciser que le management inclusif ce n'est ni conseiller, ni consoler, ni convaincre, mais simplement comprendre l'autre.
Concrètement, par quoi commencer quand on veut rendre son entreprise plus inclusive et handi-accueillante ?
Pour commencer, il faut quelqu'un dans l'entreprise qui prenne le sujet à bras le corps. Selon la taille de l'entreprise, ce sera une ou plusieurs personnes, à temps plein ou non. Tout simplement car nommer quelqu'un de responsable du sujet, ça permet d'identifier en interne et de savoir vers qui se tourner. Ensuite, ce doit être top down, c'est-à-dire que le dirigeant ou la dirigeante d'entreprise soit réellement animé et convaincu du bienfait de cette politique handicap. Si ce n'est pas le cas, on sait déjà que ça va ne va pas bien fonctionner.
En termes de ressources il y a l'AGEFIPH pour le privé, c'est l'organisme de ressources en charge de l'emploi des personnes handicapées dans le secteur privé en France. Et puis après, on peut faire appel à des cabinets de conseil, comme le mien. Le but, c'est de faire appel à des personnes externes. Pourquoi ? Avec le handicap, on est dans le domaine de l'intimité, et donc ce sera plus facile pour la personne concernée d'évoquer sa situation avec quelqu'un d'extérieur, et de totalement indépendant de l'entreprise. De plus, l'aide apportée par une personne externe permet de faire monter en compétence plus rapidement la personne en charge du sujet en interne, ainsi que les autres strates hiérarchiques.
Enfin, il faut que cette volonté infuse dans toute l'entreprise, et se diffuse à l'ensemble des équipes. Les sujets liés au handicap et à l'inclusion doivent être abordés régulièrement, que ce soit au moment de l'onboarding, des formations managériales, en multipliant les actions de sensibilisation aux différentes formes de handicap etc.
Quels sont les défis particuliers liés au handicap invisible en entreprise ?
La première chose à savoir, c'est que les handicaps invisibles représentent 80% des handicaps en entreprise. Le handicap invisible a deux particularités : très souvent, la personne qui présente un handicap invisible met en place une stratégie d'évitement, c'est-à-dire qu'elle fait en sorte de le rendre encore plus invisible qu'il ne l'est. Dans mon cas, il s'agissait par exemple de masquer la douleur et de chercher à donner le change quoi qu'il en coûte. Pour des personnes souffrant de troubles « dys », cette stratégie d'évitement s'incarne dans le temps infini consacré à la relecture afin de ne pas faire de fautes. La deuxième particularité du handicap invisible, c'est qu'aux yeux des personnes valides, il n'existe pas. Il est donc parfois assez mal compris.
Il faut aussi savoir qu'entre le moment où la personne est diagnostiquée, et le moment où elle va se déclarer en situation de handicap auprès de son employeur, il peut s'écouler des semaines, parfois des mois, voire même des années. Et donc, créer des actions de sensibilisation régulières permet d'ouvrir la parole et de permettre aux personnes concernées de s'exprimer, et d'aménager leurs conditions de travail.
Pensez-vous qu'il faille aborder la question du handicap dès le processus de recrutement d'un nouveau salarié ?
Ce que je prône, c'est déjà d'expliquer les valeurs de l'entreprise dans l'offre d'emploi. D'expliquer en quelques bullet point les valeurs de l'entreprise dans sa dimension inclusive, avec ses propres mots. De cette façon, le candidat ou la candidate en situation de handicap sera déjà plus encline à postuler à l'annonce. Par la suite, au cours de l'entretien ou de chacun des entretiens, il faut rappeler ces valeurs-là, car tout le monde n'est pas à l'aise pour mentionner sur son CV « RQTH » [Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé, ndlr], et que le candidat ou la candidate doit être rassuré sur la réalité des valeurs affichées. Et on constate que ces valeurs sont réellement différenciantes en matière de recrutement.
Je vais prendre un exemple : on a mis en place chez l'un de nos clients un processus de recrutement qui implique que chaque candidat en situation de handicap déclarée rencontre quelqu'un de la mission handicap, en interne ou en externe. Cette rencontre permet de poser toutes les questions, d'anticiper des aménagements de poste ou autre. Résultat, très fréquemment quand la personne est recrutée, elle nous dit que c'est cette rencontre-là qui lui a permis de choisir cette entreprise.
Quelles sont les erreurs à ne pas faire en matière de gestion du handicap en entreprise ?
Alors déjà, il ne faut pas mettre en place de politique handicap pour une question financière, parce qu'il y a une contribution AGEFIPH. Il doit vraiment s'agir de donner du sens, et de faire en sorte que tous les collaborateurs et les collaboratrices puissent s'épanouir dans leur métier.
Il faut aussi rappeler que le handicap n'est pas une compétence, on ne recrute pas une personne parce qu'elle est en situation de handicap. On recrute quelqu'un de compétent, quelqu'un de valeur, qui s'avère être en situation de handicap. Le cas échéant, son handicap nécessite un aménagement de poste soit organisationnel (au niveau du temps de travail), soit technique (au niveau du poste de travail).
Enfin, il faut savoir que l'employeur n'a pas à demander à la personne son trouble, sa pathologie, la raison de son traumatisme ; c'est interdit. L'employeur doit avoir connaissance de la notification administrative liée au handicap, qui est anonymisée, et les éventuels aménagements nécessaires. L'entreprise n'est pas là pour soigner, mais pour éviter de créer des situations qui soient sur-handicapantes pour la personne, donc les situations qui vont générer un épuisement qui met en péril la santé du salarié, ou favorise l'apparition d'une nouvelle pathologie. C'est de cette façon qu'on pourra créer une entreprise qui soit inclusive, c'est-à-dire sans privilèges, sans exclusivité et sans exclusion.
Pouvez-vous nous donner quelques chiffres clés pour mieux comprendre la réalité du handicap en France ?
En France, on compte 12 millions de personnes touchées par un ou plusieurs handicaps. C'est colossal ! Ce dont il faut prendre conscience, c'est qu'une personne sur deux sera touchée par le handicap au cours de sa vie active. On peut être en situation de handicap de manière ponctuelle, par exemple à la suite d'un accident, d'une opération, ou lorsque l'on a une maladie qui finit par guérir.
Comment la prise en compte du handicap évolue-t-elle en France ? Il y a-t-il eu des progrès ?
Il y a eu des avancées, des pas de géant ont été franchis. Il en reste d'autres à franchir, on n'est pas encore rendus mais il y a déjà une prise des conscience, et les entreprises intègrent de plus en plus cette dimension du handicap. Il y a aussi eu l'effet levier des confinements, au cours desquels les entreprises ont pris conscience qu'il fallait aussi prendre soin de ses collaborateurs. Les entreprises se sont demandé comment accompagner leurs salariés, et quelle posture adopter, et pour beaucoup cela a été un vrai accélérateur. Et puis il y a aussi le phénomène sociétal, avec les prises de conscience liées au développement durable etc. qui poussent à interroger les pratiques, prendre conscience de nos excès.