Invité de la première saison de La Consultation, Jean Moreau est avant tout co-fondateur et CEO de Phenix, startup leader de l'anti-gaspillage alimentaire, et co-président du Mouvement Impact France.

Dans le format vidéo de la Consultation, qu'il anime, Jean Moreau partage ses conseils sur l'entrepreneuriat et répond à de nombreuses questions pratiques sur le sujet. Pour cette interview, l'entrepreneur engagé, co-fondateur d'une société pionnière de la Tech for Good, revient avec nous plus précisément sur l'entrepreneuriat à impact et comment engager son entreprise sur cette voie.

Quelle distinction faites-vous entre une entreprise ayant une stratégie RSE et une entreprise à impact ?

Les premières fonctionnent avec une logique main droite/main gauche : d'un côté, des externalités négatives [ndlr : des nuisances pour la société, comme la pollution, le plastique], et de l'autre une direction RSE, une direction développement durable ou une fondation qui vont compenser ces externalités.

L'entreprise à mission, c'est l'étape d'après : les sujets de responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise sont placés au cœur du modèle économique, et on imagine de véritables évolutions de fond qui ne sont pas juste de la compensation.

Concrètement, quels sont les critères pour qualifier une entreprise « d'entreprise à impact » ?

Avec le Mouvement Impact France, nous avons défini quatre critères pour qualifier l'entreprise à impact. Deux critères externes : l'impact social positif et l'impact environnemental positif. Et deux critères internes : la gouvernance (le partage du pouvoir) et le partage de la richesse. Nous cherchons à réinventer la place de l'entreprise dans la société, autour d'une vision moins verticale et dans une logique de lucrativité limitée, donc de partage des richesses équitable.

Par où commencer quand on veut devenir une entreprise à impact ?

Le point de départ, c'est de savoir où on en est. Quelle est la photo actuelle de son entreprise ? Pour ça, l'outil Impact Score permet de faire un premier petit diagnostic en ligne, gratuitement. Et ce n'est pas grave de partir du bas de l'échelle ! Ce qui compte, c'est la transparence et la volonté de progresser. Je crois en la logique d'amélioration continue : on commence par des petites mesures, et on progresse d'année en année.

Pouvez-vous nous donner des exemples de mesures à mettre en place ?

Je vais prendre l'exemple de Phenix pour lister des actions que l'on peut mettre en place, qui n'ont l'air de rien, mais qui sont le début d'une prise de conscience générale.

Par exemple, tous nos salariés sont équipés en ordinateurs et en téléphones reconditionnés. Notre mobilier a été produit dans un ESAT, favorisant le réemploi et l'insertion. Nous avons mis en place une indemnité kilométrique pour inciter aux modes de déplacement doux, et nous avons banni l'avion pour les déplacements intérieurs.

Au bureau, nous faisons le tri, nous avons banni le café en capsules, les gobelets et les bouteilles en plastique. Cela peut paraître basique, mais ces actions sont des points de départ intéressants pour beaucoup d'entreprises.

En plus, nous avons choisi de privilégier des prestataires et sous-traitants en accord avec nos valeurs, notamment pour l'énergie et les services bancaires ; cela fait partie de notre politique d'achat responsable.

J'ajoute qu'il est essentiel d'être vigilant sur les indicateurs sociaux comme l'insertion, la diversité, l'égalité hommes-femmes. Les indicateurs environnementaux ne sont pas les seuls auxquels il faut être attentif !

Quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur qui souhaite créer son entreprise à impact ?

Comme pour toute création d'entreprise, il faut avant tout bien s'entourer, bien choisir ses statuts, et penser rapidement au partage de la gouvernance et de la valeur. Le mécanisme de partage de la valeur doit être prévu dès le départ dans les statuts.

Je conseillerais aussi de mettre en place rapidement un comité d'impact ou un comité de mission si on veut faire une entreprise à mission, et d'aller assez rapidement sur la voie des labels comme B Corp. Dès la création de l'entreprise, il faut veiller à mettre en cohérence les prestataires et les fournisseurs avec les valeurs que l'on porte.

Enfin, il est important d'être très vigilant sur les premiers employés recrutés : ce sont eux qui feront la colonne vertébrale de l'entreprise et son ADN. Il faut donc prendre des personnes engagées, qui sont là pour les bonnes raisons.

Quel avenir imaginez-vous pour l'entreprise à impact ?

Je pense que les entrepreneurs engagés ont montré en pionniers qu'un autre modèle d'entreprise était possible, et l'ont poussé à l'échelle, ce qui a contribué à leur crédibilisation. La prochaine étape, c'est de parvenir à embarquer de grandes entreprises dans cette réflexion.

Certaines l'ont compris et ont déjà rejoint le mouvement, mais nous devons continuer à convaincre plus d'entreprises de porter ce modèle.
De la même façon, l'un des enjeux est de réussir à toucher les TPE et PME éloignées de l'écosystème des startups parisiennes, et qu'elles rejoignent le mouvement. Pour que ce nouveau modèle s'impose et devienne dominant, il faut que l'on puisse embarquer des entreprises traditionnellement loin de nos bases, et moins sensibilisées aux enjeux de RSE.