Sur la carte affichée dans le bureau du maire, un large trait rouge coupe le territoire communal. Et à quelques centaines de mètres de la petite mairie accolée à l'église du village, le trait devient un gouffre de plusieurs dizaines de mètres de large, avec en son cœur deux piles d'un pont inachevé qui en attend une troisième.

"Très impactés": c'est par ces deux mots que Raymond Frede, le maire de Saint-Germain-des-Prés depuis 18 ans, résume la situation de ses quelque 950 administrés face au chantier de l'A69.

"Le va-et-vient des camions, beaucoup de poussière, oui c'est une grosse contrainte mais on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs", rappelle le maire sans étiquette, favorable à l'autoroute même s'il aurait préféré un aménagement de la nationale actuelle en 2X2 voies, un projet abandonné il y a plusieurs années.

Depuis le 27 février, date d'un jugement ayant interrompu les travaux de l'autoroute Castres-Toulouse, le ballet des semi-remorques s'est certes interrompu mais le chantier continue de chambouler la vie du village. 

"Tant qu'on n'aura pas le pont, on a une partie de Saint-Germain qui est isolée", explique M. Frede, l'ouvrage devant permettre de rétablir la route actuellement coupée par le chantier. 

Les habitants de "45 maisons" de petits hameaux situés d'un côté du chantier ne peuvent plus traverser. "Moi, c'était surtout l'autre côté qui me faisait le plus travailler. Du coup, perte de clientèle d'environ 80%", abonde Nadège, qui tient la seule épicerie-café du village.

- "Usine à bitume" -

"Les gars qui travaillaient (sur le chantier, ndlr) ont compensé cette perte parce qu'ils sont venus manger", ajoute-t-elle, "mais là c'est double peine puisqu'ils ne sont plus là et que je n'ai toujours pas de route".

"C'est compliqué", dit également Céline Maurel à bord de sa voiture, alors qu'elle vient chercher son fils, lycéen à Castres, à l'arrêt de bus coincé entre la nationale et le chantier. "On ne peut pas se garer, il y a de la boue, le croisement est dangereux".

L'arrêt du chantier est loin d'avoir apaisé les esprits dans la petite commune où le projet a creusé un "grand fossé", métaphore volontiers reprise par les habitants, de l'album éponyme d'Astérix.

"Il y a les pour, les contre; on ne veut pas en parler justement parce que ça crée des tensions", confie Mme Maurel, qui s'occupe du secrétariat de l'association locale de pétanque.

"J'ai senti clairement des voisins prendre du recul", raconte Marie-Claude Amand, retraitée engagée contre l'autoroute et son "usine à bitume", la centrale de production d'enrobé à chaud qui devait s'installer en surplomb du village pour produire la moitié des 500.000 tonnes de revêtement de l'autoroute.

- "Chantier pharaonique" -

Alexandre Lafon, un autre opposant, parle d'"une logique vieux monde et nouveau monde" entre "ceux qui voient qu'il y a un tournant à prendre (à cause de la) crise climatique, qu'il est nécessaire peut-être d'avoir une politique de limitation des déplacements carbonés, et ceux qui sont habitués à l'agriculture intensive, attachés à un mode de vie et ne comprennent pas pourquoi on les empêche d'aller plus vite à Toulouse", détaille ce professeur d'histoire qui se partage entre le lycée de Castres et l'université de Toulouse.

Les opposants et partisans se retrouvent sur le fait que le statu quo actuel n'est pas possible mais leurs visions de l'avenir continuent de diverger.

"On ne peut pas rester avec un chantier ouvert, des ponts pas finis, ça ressemble à quoi, on ne va pas tout casser, ce serait une aberration", estime le maire qui souhaite la reprise des travaux, tandis que Marie-Line Lattuca, opposante, espère un projet alternatif.

"Il y a eu des grands esprits pour concevoir cette espèce de chantier pharaonique, on a sans doute des grands esprits qui vont pouvoir refaire tout ça, refaire pousser des choses", espère cette retraitée.

Dans son commerce, Nadège l'épicière aimerait en tout cas que les gens "arrêtent de se déchirer". "Mon souhait? Qu'il y ait des solutions et pas dans dix ans".