Résilience, nom féminin. En physique, elle caractérise la capacité de résistance aux chocs d'un matériau. En médecine traditionnelle chinoise, c'est l'aptitude d'un tissu à se régénérer après un traumatisme. Cette seconde définition de la résilience est davantage en adéquation avec les problématiques du monde du travail où les aléas, les impondérables et autres accidents de la vie jalonnent le quotidien de chacun.

Le concept de résilience a été mis à l'honneur, il y a quelques jours, par l'association Envie2résilience entre les murs de la prestigieuse Ecole des mines de Paris. Un événement mis sur orbite par son président Emmanuel Gobin et la déléguée et fondatrice de l'association, Patricia Acensi Ferré, également instigateurs de l'« appel de la résilience ».

A travers différentes tables de ronde et prises de parole, avec l'expertise d'une escouade de chercheurs, de psychologues et autres universitaires, le concept de résilience, dans le milieu professionnel, a été malaxé et trituré à dessein jusqu'à en extraire la substantifique moelle.

« La vulnérabilité est notre plus petit dénominateur commun. La seule chose que nous portons tous en nous. Ce sujet du très intime et du très caché est présent quotidiennement dans le monde du travail », appuie Patricia Acensi Ferré, dans son propos liminaire. Et les vulnérabilités ne s'arrêtent pas à la porte de l'entreprise puisque l'on estime entre 10 et 15 % la proportion decollaborateurs qui traversent un deuil chaque année. En outre, ils sont 20 % à faire office de «proches aidants ». « Cela fait partie du quotidien de l'entreprise alors qu'on a encore tendance à le traiter comme une exception », appuie l'entrepreneuse Pascaline de Broissia, qui a fait la douloureuse expérience de la perte soudaine de son frère, il y a presque dix ans jour pour jour.

Un « retour à la normale » dévastateur

Et de narrer cette épreuve. « J'avais 34 ans, je venais d'être promue directrice au sein d'un grand groupe et j'étais dans une phase de ma carrière, où j'avais encore beaucoup de preuves à faire. » A une période de compassion et de bienveillance a succédé, au sein de son entité, un « retour à l'ordinaire » nécessaire pour l'entreprise, mais mal vécu par la principale concernée. « Deux mois après, j'ai pu observer cette injonction au retour à la normale qui est souvent assez dévastatrice, quel que soit le tragique événement de vie qu'on traverse. »

Si les bonnes volontés des organisations s'expriment de plus en plus en la matière, elles peinent parfois, soumises à des impératifs de performance, à prendre le temps de créer une vraie culture de résilience. « L'enjeu est de coupler le discours à la réalité et de transformer les vulnérabilités en forces créatrices. La pratique du retour d'expérience et du feedback permet d'éviter l'amnésie de nos organisations. Elles doivent se servir des expériences passées pour rebondir », appuie Véronique Chanut, professeure et directrice du Ciffop, la grande école universitaire des métiers RH.

Car l'antienne « vulnérabilité = faiblesse » a malheureusement encore la vie dure au sein de l'entreprise. « Reconnaître sa vulnérabilité est toujours considéré aux yeux de certains comme la reconnaissance de sa propre insuffisance. Nous sommes malheureusement encore dans une vision stéréotypique de la vulnérabilité », explicite Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, mais également professeure titulaire de la chaire humanités et santé au Conservatoire national des arts et métiers. Et d'esquisser une piste de réflexion. « Il faut donc arrêter de considérer que la vulnérabilité est un problème. Essayons plutôt, collectivement, de 'dé-moraliser' cette question plutôt que de la juger. »

Observer les vulnérabilités par ce prisme semble avoir les faveurs de Charlotte Parmentier-Lecocq, députée du Nord, mais aussi présidente de la commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale et en pointe sur ces questions. « Lorsque l'on parle de vulnérabilité, on parle également de forces. Cette force et cette énergie sont mises à contribution dans notre organisation professionnelle et font office de leçon de vie. Les personnes vulnérables peuvent nous aider à nous dépasser collectivement. »

« Recoller les morceaux »

Finalement, la résilience ne surpasserait-elle pas la résistance ? Une évidence pour Pascaline de Broissia qui, forte de son expérience personnelle, a hissé les voiles de L'Equipage, structure composée de coachs et psychologues cliniciens afin de développer « la compréhension et le soutien afin que les organisations renforcent leur robustesse sur le sujet », insiste-t-elle.Peut-être l'occasion pour les entreprises de se familiariser avec le kintsugi, l'art ancestral japonais de la résilience. Celui-ci consiste à recoller les morceaux d'un objet brisé en mettant en exergue ses fêlures et autres stigmates grâce à de la poudre d'or. Il porte ainsi fièrement, tel un étendard ses blessures.« Au terme du processus, on obtient un vase qui n'est plus le même qu'avant mais qui a désormais tellement de couches de laque et de colle qu'il est peut-être même encore plus résistant », explique Pascaline de Broissia. Et de conclure : « C'est en mettant en lumière les cicatrices que nous parviendrons à lever les tabous et véritablement passer à l'action. »