Pourquoi et comment favoriser la mobilité des personnes en situation de handicap ? Réponses avec Stéphanie Gateau, consultante en stratégie de développement international et fondatrice d'Handiroad.
En France, plus de 3 millions de personnes sont en situation de handicap. 1,5 millions d'entre elles se déplacent en fauteuil roulant. Ou plutôt, tentent de se déplacer, car le moindre obstacle se transforme pour elles en parcours du combattant.
Stéphanie Gateau s'est inspirée des GPS routiers, type Waze, pour créer, il y a 5 ans, l'Appli Handiroad et mobiliser une communauté « d'anges gardiens » pour les aider. L'Appli a reçu 17 récompenses, dont le prix Femmes Entrepreneuses d'Orange.
Pourquoi et comment vous engagez-vous en faveur de l'inclusion des personnes en situation de handicap ?
Je suis issue d'une famille où les femmes ont des grosses difficultés à se déplacer, à cause d'une fibromyalgie et de surdité héréditaires. Mes filles en sont atteintes également. Je veux être un exemple pour elles, en tant qu'entrepreneure d'une résilience à toutes épreuves, et par mon engagement en faveur de l'inclusion des personnes en situation de handicap.
Face aux crises qui se succèdent, il nous faut tous être ultra résilients. 25 millions de personnes ont des difficultés à se déplacer en France. Le potentiel des personnes en situation de handicap, et de leurs aidants, est très sous-estimé. Je suis consultante en stratégie de développement international. Face à un problème d'une telle ampleur, il me semble évident qu'il faut avoir une vision et mettre en place un plan d'action, avec des ressources. Mais une telle vision stratégique fait défaut face à ce gâchis de compétences et autant de drames humains.
Pour dénoncer cette situation et, surtout, pour apporter des solutions, j'ai créé un collectif, « Tous Uniques, Tous Différents mais tous du talent ». J'ai ainsi eu l'audace de proposer mon aide au Sénat, à l'Assemblée nationale et à des associations pour défendre cette cause et aider à changer les choses.
Comment avez-vous fait pour surmonter ces handicaps et devenir consultante en stratégie ?
Je suis diplômée d'Audencia. Sachant que je finirais probablement paralysée, à ma sortie de l'école, j'ai voulu parcourir le monde et accumuler un maximum d'expérience. Les projets interculturels, le management en milieu international et la stratégie m'intéressaient. Lors de mon premier entretien d'embauche, on m'a promis 25 ans de chômage… La fois suivante, j'ai menti par omission et j'ai décroché une mission au Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas. Moi qui suis passionnée par l'innovation et les nouvelles technologies, le CES c'était le rêve pour moi !
Je n'avais aucun budget pour promouvoir l'entreprise que je représentais. La seule solution était de faire une Keynote. C'était gratuit. Je suis autiste et n'ai quasiment pas parlé jusqu'à l'âge de 20 ans. Je ne m'étais évidemment jamais exprimée en public. Mais le fait de ne connaître personne, d'être avec des gens qui fonctionnaient différemment m'a aidée. Je me suis lancée et je ne me suis plus jamais arrêtée. J'ai construit mon parcours à partir de ce qui m'anime, à savoir d'aller vers les autres, de partager et de contribuer au succès des entrepreneurs et de leurs projets à l'international. C'est un très beau cadeau qui m'a été fait ce jour-là.
L'Appli Handiroad s'inspire de l'application GPS Waze pour faciliter et sécuriser les déplacements des personnes en situation de handicap, comment avez-vous lancé ce projet ?
L'idée vient de mon fils de 6 ans à l'époque. Il m'aidait en poussant mon fauteuil lorsque je ne pouvais pas marcher. Il peinait beaucoup sur les graviers, avec les trottoirs, pour passer entre les poubelles, les voitures mal garées, etc. À Paris, par exemple, il n'existe que trois stations de métro adaptées. À un moment, à la gare Montparnasse, je mettais une heure et demie pour accéder aux trains à cause des travaux.
Des travaux, il y en aura tout le temps et tout mettre aux normes coûterait trop cher. Notre idée était de créer une appli qui apporte une solution agile et rapide à ces problèmes de déplacement qui peuvent tous nous toucher à un moment ou à un autre de notre vie. Il suffit de se casser une jambe pour s'en rendre compte ! Mon fils a insisté pour que je développe son idée et il a co-fondé la start-up avec moi.
Comment fonctionne-t-elle ?
Vous optez pour un profil de personne à mobilité réduite (PMR) ou d'ange gardien, ou les deux. Dans le premier cas, vous recevez des alertes sur les obstacles qui se présentent sur votre trajet. Vous définissez les contacts favoris que vous souhaitez alerter en cas de problème, ou indiquez un commissariat ou la gendarmerie. Vous pouvez aussi envoyer un message à la communauté. L'appli envoie un SMS à votre aidant pour lui dire que vous êtes bien arrivé.
Handiroad est aussi conçu pour apporter de la sécurité, de quelle manière ?
80 % des femmes en situation de handicap sont victimes de violences. Cela m'est arrivé. Que cela vienne d'un aidant, d'un proche ou non, c'est notre lot quotidien. La priorité d'Handiroad n'est en fait pas la mobilité, ni l'accessibilité, c'est la sécurité.
Notre premier objectif est de trouver des « anges gardiens » disponibles pour aider en cas de pépin. Face à un obstacle, ou en cas d'agression. L'outil permet de faire remonter des alertes. Nous faisons appel à l'entraide au sein de cette communauté. C'est aussi une manière de recréer du lien social. J'ai foi en l'être humain. La période de la pandémie de COVID-19 a montré combien cela était nécessaire, et que nombre de personnes étaient prêtes à aider.
Comment mobilisez-vous cette communauté d'« anges gardiens » ?
J'ai envie de récompenser la solidarité et l'entraide plutôt que de pointer du doigt ce qui ne va pas. L'enjeu est de dépasser un individualisme qui ne cesse de s'accentuer. On ne garde plus les personnes âgées ou en situation de handicap chez soi comme cela était le cas dans le passé, par exemple.
Avec l'appli Handiroad, nous cherchons à récompenser ceux qui font un effort et ont de l'empathie envers les autres. Dans ma rue, à Bastia, par exemple, il y a deux boulangeries. L'une est aux normes mais le boulanger est excédé quand il voit que je dérange les clients avec mon fauteuil. La seconde n'est pas adaptée mais j'y suis accueillie avec le sourire et avec patience. J'aimerais trouver un partenaire de certification, type Afnor, pour identifier les lieux accueillants pour les personnes en situation de handicap et à mobilité réduite.
Nous voulons faire appel à la responsabilité sociétale de chacun car c'est collectivement que nous pourrons réussir en mobilisant tous les acteurs liés au déplacement.
Je compte beaucoup sur l'aide des villes, des territoires et des collectivités qui disent vouloir être 100 % accessibles. J'essaie aussi de nouer des partenariats avec des entreprises. Dans les transports en commun (métros, gares, aéroports), les salariés pourraient intervenir en cas d'agression ou de besoin. J'avoue que cela prend plus de temps que je ne le pensais.
Que vous apporte le projet Handiroad, à titre personnel ?
Entreprendre permet de lutter contre la solitude et l'isolement. Cela aide à assumer ses vulnérabilités et à miser sur mes points forts. J'ai développé des clés personnelles pour me dépasser. C'est cette expérience que je veux partager aujourd'hui. Cela ne peut se faire sans le soutien d'investisseurs. C'est aussi mon rôle de les convaincre et de les rallier à ce projet.
Le volet humain, l'impact de mes projets de consultante ou d'entrepreneure, est essentiel pour moi. Je me suis toujours demandé comment les nouvelles technologies pouvaient contribuer, même à toute petite échelle, à résoudre des problématiques non seulement économiques mais aussi politiques, environnementales, sociales et sociétales. C'est le sens d'Handiroad.