Un conseil d'administration qui ne décide de rien ; Alstom commence à avoir l'habitude, celui d'hier soir était le second en l'espace de trois jours. Candidat au rachat de la branche énergie d'Alstom - soit plus de 70 % de son chiffre d'affaires, General Electric devra encore probablement patienter un peu, le temps que le gouvernement négocie quelques contreparties sociales et technologiques. Mis devant le fait accompli par la révélation jeudi d'un accord imminent entre l'industriel américain et Bouygues, l'actionnaire principal (à 29,4 %) du fleuron français, l'exécutif français a pesé pendant tout le week-end pour empêcher que le conseil d'administration d'Alstom n'entérine la vente hier. C'est fait.Résultat, un communiqué d'Alstom des plus laconiques ; « Alstom poursuit sa réflexion stratégique et informera le marché d'ici à mercredi matin ». Cela permettra-t-il à l'outsider Siemens de matérialiser sa tardive déclaration d'intention ? Pas sûr. L'allemand propose de reprendre l'activité énergie d'Alstom et lui transmettrait ses trains rapides ICE et locomotives. En butte à l'hostilité du patron d'Alstom, Patrick Kron, Siemens a veillé à travailler son offre avec Bercy et l'Elysée. Sachant pertinemment que la perspective de créer deux champions européens dans l'énergie et le transport pouvait sonner doux aux oreilles du chef de l'Etat.Pour autant, Bercy ne veut pas avoir l'air de trancher trop rapidement pour un des acquéreurs. Chez Arnaud Montebourg, on se refuse d'ailleurs à critiquer General Electric. Au point que son PDG Jeffrey Immelt, qui a été snobé par l'exécutif l'espace d'un dimanche, sera finalement reçu dès ce matin par François Hollande et Arnaud Montebourg. « GE et Siemens sont deux investisseurs importants en France et des acteurs de premier plan au sein de notre tissu industriel », a indiqué le ministre de l'Economie hier. Martin Bouygues, lui, était hier après-midi dans le bureau d'Arnaud Montebourg, avant une réunion interministérielle chez François Hollande. Voir l'un des fleurons de l'industrie française passer sous pavillon américain ne peut que déplaire au ministre de l'Economie, héraut du « patriotisme économique ». Voir Alstom, sauvé de la faillite en 2004 par Nicolas Sarkozy, être vendu par appartements sous la présidence Hollande serait un symbole lourd de conséquences politiques (lire ci-dessous). Difficile cependant d'écarter d'un revers de main l'offre américaine. D'autant que, souligne-t-on, « Siemens n'a pas réponse à tout ». Au sein même de l'exécutif, d'ailleurs, certains doutent de la faisabilité d'un accord avec le géant allemand. « Les solutions européennes ont déjà été recherchées et il y a eu beaucoup de contacts avec Siemens depuis deux ans, elles sont très destructrices d'emplois. On risque un sinistre avec Alstom et les recherches d'alliances sont obligatoires ; les solutions miracles n'existent pas », estime une source gouvernementale qui trouve de meilleures complémentarités avec GE.Dans les deux cas, c'est bien à un démantèlement d'Alstom que les propositions vont conduire. L'examen des deux propositions, si GE et Alstom en laissent le temps au gouvernement, vont se focaliser sur les garanties données. Bercy sera « particu lièrement ferme sur ses exigences de maintien et de créations d'emplois, d'investissement et de R&D en France, ainsi que le maintien des centres de décision en France », a prévenu Arnaud Montebourg.Chez les industriels concernés, on veillait à ne pas prendre à la légère l'intervention de l'exécutif. Bouygues vit de commandes publiques et à ce titre, n'ignore pas que l'Etat n'est pas dépourvu de moyens de pression. Sur l'emploi (9.000 salariés dans l'énergie pour Alstom en France), la négociation sera politique. Dans son plan de 1.300 suppressions de postes de l'automne dernier, Alstom a préservé la France en supprimant des postes en Allemagne et en Suisse, mais le rapport commandé par les représentants du personnel a pointé des surcapacités. Sur la localisation des centres de décision, une source proche des discussions évoque la possibilité de rapatrier de Suisse vers la France le siège mondial de l'activité Thermal Power d'Alstom, le coeur de métier du groupe. Un héritage des activités rachetées par Alstom à ABB.

Vigilance sur le nucléaire

Dans un courrier adressé au PDG d'Alstom auquel « Les Echos » ont eu accès, le PDG de Siemens, Joe Kaeser, qui demande d'entrer en discussion immédiatement, estime que la branche énergie vaut 10 à 11 milliards d'euros net. L'Allemagne ayant annoncé sa sortie du nucléaire, Siemens propose que le siège de cette activité reste en France et réfléchit au meilleur mode de contrôle possible (« carve out »). Il garantit zéro licenciement pendant au moins trois ans et pas de vente d'actifs.Le gouvernement a aussi signalé son « extrême vigilance » sur « le maintien de l'excellence et de l'indépendance de la filière nucléaire française », un sujet pointé par le sénateur de Belfort, Jean-Pierre Chevènement. Alstom est de fait un fournisseur important d'EDF et d'Areva - le groupe doit réaliser des turbines pour les deux futurs EPR britanniques. Mais EDF, engagé dans une politique de diversification, est également en contrat avec GE pour diverses centrales.