Le 14 février 2024, un défilé est programmé à Kansas City pour fêter la victoire du club au Super Bowl, à laquelle Denton Loudermill assiste en hommage à son père, décédé un an plus tôt.
Il enfile un sweat et un pantalon rouges, couleur des Chiefs, et se rend au défilé. Mais une fusillade éclate, faisant un mort et 22 blessés. Rapidement, une photo de Denton Loudermill apparaît sur les réseaux sociaux, où il est présenté, à tort, comme l'auteur de la fusillade.
De nombreuses publications, dont une relayée par l'actuel secrétaire d'Etat du Missouri, Denny Hoskins, et un sénateur de l'Etat, Rick Brattin, le présentent comme étant Sahil Omar, un immigré clandestin fictif inventé par des complotistes et lié à plusieurs fusillades et explosions aux Etats-Unis.
Ce soir-là, il fut interpellé brièvement par la police, avant d'être relâché.
Mais la photo de Denton Loudermill, assis sur le trottoir menottes aux mains, prise au moment de son interpellation par de nombreux médias dont l'AFP, a changé sa vie à jamais.
Père de trois enfants, il perd du poids et développe un trouble de stress post-traumatique. A la station de lavage où il travaille, des clients le comparent aux photos qui circulent.
Un matin d'avril 2025, plus d'un an après les faits, il est retrouvé inanimé dans son salon.
Une autopsie conclut à une mort accidentelle liée à la cocaïne, aux cannabinoïdes de synthèse et à l'alcool. Le rapport mentionne un état de stress post-traumatique et une dépression, ainsi qu'une consommation excessive d'alcool les deux jours précédents.
"Il serait encore là aujourd'hui si ce n'était pas arrivé", dénonce l'une de ses soeurs, Reba Paul.
- "Un enfer" -
Quatre personnes, sans lien avec Denton Loudermill, ont été inculpées après la fusillade.
S'il a été brièvement détenu par les autorités, c'est simplement pour avoir réagi "trop lentement" aux consignes de la police.
L'AFP a rapidement actualisé ses légendes photos pour refléter le fait qu'il avait été libéré, puis a publié dans les 24 heures une enquête démentant les fausses informations qui circulaient en ligne à son encontre.
Dans une publication sur X partageant sa photo, un élu républicain au Congrès, Tim Burchett, avait annoncé qu'un des tireurs avait été "identifié comme un immigré clandestin".
D'autres affirmations hâtives se sont accumulées et les menaces n'ont pas tardé.
"Ca s'est répandu comme une traînée de poudre", explique à l'AFP LaRonna Lassiter Saunders, son avocate. "C'était une énorme injustice à l'encontre de Denton".
Commençant à craindre pour sa sécurité, il avait confié à l'une de ses soeurs: "Ils pensent vraiment que j'étais sorti pour tuer des gens, tuer des enfants".
Il a bien tenté de laver son nom, appelant les politiciens - tous Blancs - qui l'ont mis en cause à exprimer des regrets, mais a avoué à un journaliste que sa vie était devenu "un enfer".
- "Tout va bien?" -
Tim Burchett a supprimé sa publication et a précisé que le tireur n'était pas un immigré, mais sans dédouaner Denton Loudermill. Ni lui, ni Denny Hoskins, ni Rick Brattin - qui ont également supprimé leurs publications - n'ont répondu aux questions de l'AFP.
Le fan des Chiefs a poursuivi en justice les trois hommes. La plainte contre Tim Burchett a échoué pour des problèmes de procédure. Celles contre Denny Hoskins et Rick Brattin sont toujours en cours dans le Missouri.
En octobre, un juge a rejeté leur demande d'annulation des poursuites. Reba Paul, qui a continué les poursuites après la mort de son frère, affirme que la famille de Denton Loudermill se battra pour lui "jusqu'à (son) dernier souffle".
Ses soeurs ont assisté, impuissantes, à sa déchéance. "Il était toujours inquiet quand quelqu'un le regardait", raconte l'une d'elles, Stephanie Fairweather.
La veille de sa mort, il a envoyé un SMS à son avocate: "Tout va bien?" Ce fut leur dernier échange. "Imaginez qu’on vous accuse à tort d'être sans papier, terroriste, d'avoir tiré sur des enfants", explique-t-elle. "C'est beaucoup".