Journée cruciale pour la réglementation européenne de l'intelligence artificielle (IA), première loi au monde en la matière, qui a suscité de nombreux débats ces derniers mois. Ce mercredi après-midi, les législateurs européens - Parlement, Conseil européens et Commission européenne - entament d'ultimes négociations sur ce projet de loi très attendu, lancé il y a deux ans. Elles se termineront, sans doute, tard dans la nuit. L'enjeu est fort : un accord doit absolument être conclu, faute de quoi la loi pourrait tomber dans les limbes, car il sera difficile de l'adopter à temps avant les élections européennes de juin 2024 - en vue d'une entrée en application, au mieux, en 2026. Tous les regards sont donc tournés vers le Vieux Contient qui s'apprête à franchir un pas déterminant sur un sujet qui a déchaîné les passions bruxelloises, et même au-delà. L'IA a carrément été présentée par certains comme présentant potentiellement un risque de menace existentielle pour l'humanité, suivant l'utilisation que l'on pourrait en faire…Le principal point de friction qui va, sans doute, alimenter une bonne partie des débats concerne la manière dont il faudrait réglementer l'IA générative, c'est-à-dire des systèmes comme ChatGPT. La France a semé la zizanie en décrétant, en dernière ligne droite, qu'il fallait plutôt les laisser s'autoréguler et privilégier des codes de bonne conduite volontaires, donc. Elle a rallié à son camp l'Allemagne et l'Italie, deux poids lourds de l'UE. Houleux depuis, le débat menace de faire s'écrouler tout l'édifice de la loi si aucun accord ne peut être conclu ce mercredi sur le sujet…

Concurrencer les géants américains

La France et l'Allemagne redoutent qu'une réglementation jugée excessive tue les start-up nationales, comme la française Mistral et l'allemande Aleph Alpha, sur lesquelles Paris et Berlin misent pour concurrencer, un jour, OpenAI et Google. L'UE n'est pour l'heure qu'un acteur de second plan dans le développement de l'IA, dans lequel les géants Alphabet, Amazon et surtout Microsoft investissent des milliards.Mais pour le Parlement, de nombreux chercheurs en IA ou encore Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, l'un des architectes de la loi, il n'est pas question de laisser ces acteurs « dans la nature ».Un compromis, actuellement sur la table, prévoit de distinguer les acteurs de l'IA générative les plus puissants, des autres, basiques, et de les contraindre à des obligations plus fortes. « Cela permet de ne pas freiner les start-up européennes et de régler les potentiels cas systémiques », explique un haut fonctionnaire européen. Encore faut-il s'entendre sur les critères et les seuils permettant de définir les acteurs les plus puissants… Cela sera, sans doute, au menu des discussions.Au-delà de ce sujet, d'autres questions, moins polémiques mais complexes, sont en suspens. Si tout le monde s'entend sur la réglementation de l'IA à haut risque, l'un des points fondamentaux de la loi, des discussions ardues sont attendues sur le champ d'application.Les législateurs vont notamment devoir s'entendre sur les exceptions en matière d'application de la loi et celles en matière de sécurité nationale ou encore sur l'évaluation de l'impact de l'IA sur les droits fondamentaux des citoyens.

Identification biométrique

L'utilisation de l'IA, par les forces de l'ordre, pour l'identification biométrique des individus dans les espaces accessibles au public, fait particulièrement débat. Tout comme l'utilisation de l'IA pour la police prédictive.La gouvernance est aussi un sujet, le projet prévoyant la mise en place d'un Bureau de l'IA, dépendant de la Commission européenne, spécifiquement compétent sur les modèles les plus puissants de l'IA. Les questions, pas simples, de l'étendue de ses responsabilités et de ses ressources, restent néanmoins à trancher… « Nous sommes optimistes et pensons avoir de bonnes possibilités de conclure un accord politique ce mercredi, compte tenu des discussions de ces derniers jours », affirme néanmoins une source au fait des discussions. Une chose est sûre : même avec un accord politique, un lourd travail de détail attend les parties prenantes ensuite pour le traduire en texte juridique, tant le sujet est sensible.