"Au début, quand il a été question de faire ce film, (...) on s'est dit: bon, mais en quelle langue ? Russe, il n'en était pas question. Français, évidemment grotesque", a raconté dimanche celui qui a adapté le roman de Giuliano Da Empoli pour le grand écran.
"Le mage du Kremlin", réalisé par Olivier Assayas et projeté dimanche à la Mostra de Venise, revient sur plus de deux décennies de transformation en Russie, du début des années 1990 jusqu'à l'invasion de la Crimée en 2014, marquées par l'ascension au pouvoir de Vladimir Poutine.
Le récit suit Vadim Baranov, incarné par Paul Dano, conseiller de l'ombre de Vladimir Poutine et témoin privilégié de l'installation d'un régime autoritaire à Moscou.
L'acteur britannique Jude Law joue le maître du Kremlin dans "une incarnation très étonnante", a relevé Emmanuel Carrère, avec "une espèce d'opacité, quelque chose d'un peu vipérin, comme peut avoir Poutine".
- Montrer la réalité -
"Il y a un moment, on s'est dit: les premières phrases qui vont être prononcées en anglais, on fait gloups un tout petit peu", a raconté l'auteur du roman "Kolkhoze", qui vient de sortir en librairie.
"Et puis, on s'est dit: regarde +Chernobyl+. On fait gloups une minute et, ensuite, ça marche complètement", a-t-il complété.
"Chernobyl" est une mini-série sortie en 2019 et produite par HBO qui revient sur la catastrophe nucléaire survenue en 1986 en URSS de manière très documentée et entièrement tournée en langue anglaise.
"Le mage du Kremlin" a également dû être tourné en Lettonie, en raison de l'impossibilité de filmer en Russie.
Malgré cela, "on a été, je pense, assez attentifs à toujours (...) être assez précis dans la rétrospection" des faits historiques racontés, a insisté Giuliano Da Empoli.
"Le parti pris, c'est d'aller au-delà de la réalité sans la trahir", a complété l'écrivain italo-suisse, obsédé par la violence politique et l'émergence des régimes autoritaires dans le monde.
Lors de la première lecture du livre, Emmanuel Carrère, bon connaisseur de la Russie, dit avoir "été frappé de l'étendue des connaissances et de la compréhension très intime de la part de quelqu'un qui connaît bien les mécanismes du pouvoir, mais pas spécialement la Russie".
- Composante de violence -
Ami de longue date du réalisateur Olivier Assayas, il a embarqué sur le projet d'adaptation de manière assez "naturelle".
"La fin du communisme, le chaos des années 1990 en Russie, la montée de Poutine... Je trouve que le livre raconte ça très bien. Il le raconte à l'intention de lecteurs qui ne sont pas forcément très familiers avec ça. Et, pourtant, il y a une espèce de familiarité à laquelle on a accès", a-t-il salué.
Dans le film comme dans le livre, Vadim Baronov raconte ses souvenirs à un chercheur américain en visite en Russie.
On y croise de nombreux personnages, d'Edouard Limonov (auquel Emmanuel Carrère a consacré un livre, NDLR) à l'oligarque Boris Berezovski, en passant par le mercenaire Evguéni Prigojine au début de sa carrière au service de Poutine à Saint-Pétersbourg.
"L'intérêt du film, c'est qu'il raconte les prémices" de ce qu'il se passe aujourd'hui avec la guerre en Ukraine, a observé Giuliano Da Empoli. "Il y avait au fond, dès le départ, une composante de violence dans le pouvoir de Poutine. Tout ce qu'il s'est passé après est assez cohérent avec cela."