« Consternant » et « stupide » dans la bouche de Ségolène Royal, la ministre de l'Ecologie, « rocambolesque » pour son secrétaire d'Etat aux Transports, Frédéric Cuvillier, « hallucinant », selon Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du Parti socialiste : les responsables gouvernementaux comme ceux de la majorité n'ont pas eu de mots assez durs hier pour qualifier l'incroyable dysfonctionnement révélé par « Le Canard enchaîné ».Selon l'hebdomadaire, dont l'information était confirmée en partie dans la journée par la SNCF et Réseau Ferré de France (RFF), le gestionnaire du réseau a entamé un chantier de plusieurs dizaines de millions d'euros visant à raboter quelque 1.300 quais afin de permettre aux futurs trains express régionaux qui vont entrer en service progressivement jusqu'à fin 2016 de... rentrer en gare !
Des relations exécrables
Les voitures des 182 rames Regiolis d'Alstom et des 159 Regio2N de Bombardier, commandées en 2009 par la SNCF dans le cadre d'un vaste plan de renouvellement des TER, sont en effet plus larges que celles actuellement en circulation. Et pour cause, les deux constructeurs ont répondu à l'exigence du cahier des charges qu'avait défini la SNCF pour améliorer le confort des voyageurs.Problème, cette dernière n'a, semble-t-il, pas obtenu à l'époque de RFF les cotes exactes de l'ensemble des 8.700 quais des gares françaises. Les deux entreprises, séparées depuis 1997, vivaient alors « une guerre de position », se souvient un expert du secteur, à tel point que « leurs ingénieurs ne se parlaient plus en direct, mais par échange de courriels », témoigne cette même source. En outre, les relations entre Guillaume Pepy, le président de la SNCF, et son homologue de RFF, Hubert du Mesnil, étaient exécrables. Si bien que, lorsque fut identifié le problème, ce dernier aurait refusé de débloquer les fonds nécessaires pour réparer cette « bourde ».
Déblocage des fonds
De son côté, l'actuel président de RFF, Jacques Rapoport, avance une explication technique. Les quais « ont cent cinquante ans d'âge, les trains sont neufs : à chaque nouveau matériel roulant, il faut adapter l'infrastructure », a ainsi déclaré le président de RFF sur Europe 1, en rappelant que le coût de ce chantier représente « 1 % du coût du matériel roulant » et « s'inscrit dans un budget annuel de RFF de 8 milliards d'euros ».
Nommé en novembre 2012 à la faveur du départ à la retraite de son prédécesseur afin de pacifier les relations entre les deux entreprises, c'est d'ailleurs lui qui, selon nos informations, aurait, dès son deuxième conseil d'administration, fait débloquer les sommes nécessaires pour des travaux qui ont commencé en 2013, comme l'ont précisé les deux entreprises dans un communiqué commun publié hier (lire encadré). Jacques Rapoport et Guillaume Pepy ont aussi accompagné la réforme ferroviaire que le gouvernement présentera au Parlement en juin prochain. Le projet prévoit la création d'un groupe public industriel intégré, composé d'un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) nommé « SNCF » et de deux Epic, « SNCF Réseau », le gestionnaire d'infrastructure - l'actuel Réseau Ferré de France - et « SNCF Mobilités », qui exploitera les trains.L'occasion est trop belle pour les syndicats de cheminots hostiles à une réforme qui ne les satisfait pas de demander, à l'instar de la CGT, de l'Unsa et de Sud-Rail « une réelle réunification du système ferroviaire public », avec un conseil d'administration unique et un comité central d'entreprise qui représentent « l'ensemble des salariés du système public ». Quant à Guillaume Pepy, le seul des deux dirigeants en place lorsque fut commise l'erreur, des membres de la majorité socialiste lui mettent clairement la pression. Comme un signal pour lui signifier que même s'il devait être le patron de la future entité, il serait sous surveillance.