Enjeux financiers et RH
Si certaines sociétés ont sous- estimé leurs besoins en mètres carrés et se retrouvent à l'étroit dans leurs murs, d'autres se sont calées sur les journées d'affluence pour définir leurs surfaces de bureaux. Or l'immobilier représente en général le deuxième poste de charges fixes des entreprises derrière les salaires et devant l'informatique. Ainsi, plus les surfaces sont optimisées, plus les coûts sont réduits.Mais l'enjeu n'est pas uniquement financier. Venir un vendredi pour se retrouver presque seul au bureau n'est pas très motivant pour un salarié - de même que, à l'inverse, tourner à la recherche d'une place un mardi dans un bureau bondé peut être source d'agacement.« Les directions cherchent à regrouper leurs équipes aussi pour la dynamique collective. Et il y a un enjeu de productivité », estimait il y a quelques jours Béatrice Lièvre-Théry, directrice générale de Sogeprom, à l'occasion d'un point de conjoncture de l'Orie, l'Observatoire régional de l'immobilier d'entreprise en Ile-de-France. Il y a aussi un enjeu d'innovation, souligne Flore Pradère, directrice de recherche sur les nouveaux modes de travail chez JLL, spécialiste du conseil en immobilier d'entreprise. « Si certaines personnes ne se croisent plus, vous perdez énormément en transversalité », note-t-elle.Le déséquilibre de la présence des salariés au bureau selon les jours peut en outre avoir d'autres conséquences. Pour les prestataires de cantines d'entreprise, par exemple, pour qui assurer un service le vendredi peut s'avérer difficile à rentabiliser. Mais pas seulement. C'est tout un quartier qui peut en pâtir.Des conséquences au-delà de l'entreprise
« On se retrouve avec des restaurants qui font faillite parce qu'ils ont, certains jours, 20 % ou 30 % de fréquentation en moins », raconte Pierre-Yves Guice, le directeur général de l'établissement public Paris La Défense. Il ajoute que le RER E - dont le prolongement à l'ouest de Paris aura coûté 5,4 milliards d'euros - est partiellement vide le vendredi. Il s'agit donc de rééquilibrer la venue des salariés dans la semaine. Mais comment faire ? « Pour l'instant, cela se fait de façon un peu empirique, on essaye de corriger les excès », indique Frédéric Goupil de Bouillé. Les entreprises « n'ont pas encore trouvé le bon modèle », admet Lise Level, directrice conseil en environnement du travail chez JLL.
Certaines testent des mesures incitatives. A l'image de Sanofi ou Pernod-Ricard, qui organisent les vendredis des brunchs ou des petits-déjeuners gratuits pour leurs salariés - quand d'autres sociétés testent, par exemple, le dessert offert à la cantine. Des initiatives perçues comme sympathiques. « Mais pour ceux qui avaient pris l'habitude de ne pas venir le vendredi, ce n'est pas suffisant », indique-t-elle.
D'autres directions imposent des règles plus contraignantes. « Cela peut consister à demander à une équipe d'être présente tous les vendredis, de septembre à septembre, pour que les salariés qui ont des nounous puissent s'organiser. Puis de changer l'année suivante », indique Lise Level.Renégocier les accords
Un vrai problème pour ceux qui, avec l'instauration des accords de télétravail, ont fait le choix de s'installer plus loin de leur lieu de travail. D'autant, soulignent-ils, que les billets de train coûtent souvent plus cher le vendredi.Faut-il faire une exception pour eux ? Les décisions peuvent varier d'une organisation à l'autre. De même, « certaines directions recherchent une équité entre tous leurs salariés quand d'autres n'hésitent pas à dire aux petits jeunes 'Vous, vous venez le mercredi. On en rediscutera lorsque vous aurez des enfants' », poursuit-elle.Dans certaines entreprises, la renégociation des accords de télétravail fournit l'occasion de créer de nouvelles obligations ou interdictions : l'impossibilité, par exemple, de poser plus de deux vendredis par mois en télétravail.Attention à ne pas instaurer un modèle trop rigide, mettent néanmoins en garde les spécialistes de JLL. « Ce que les salariés apprécient dans le télétravail, c'est la flexibilité. Plus on ira vers du lissage, plus on perdra en flexibilité », prévient Lise Level. « Tout ne se planifie pas, il faut laisser de la place à l'improvisation », insiste aussi Flore Pradère.Sans oublier que l'instauration du télétravail s'est faite en contrepartie de l'instauration du flex office - ou organisation en postes de travail partagés. Les salariés ont fait la part du chemin. Chercher à toute force un rééquilibrage n'est en outre pas forcément l'unique solution.
« Il peut y avoir un autre modèle pour les entreprises : accepter d'avoir des locaux vides ou sous-utilisés les lundis et vendredis et les sous-louer ces jours-là ou y accueillir des start-up ou des associations à titre gracieux », note par ailleurs Flore Pradère. « Il faut réfléchir à une mixité et à une intensité d'usage. Mais cela nécessite que les entreprises acceptent de partager des locaux qui, jusqu'à présent, leur étaient dédiés », souligne Frédéric Goupil de Bouillé.Une petite révolution qui peut en outre poser des questions de confidentialité et de protection des données. A moins de pouvoir réserver une partie de l'immeuble à l'accueil de nouveaux publics - quitte à l'anticiper en amont dans la conception des locaux. « Cela nécessite aussi une certaine discipline : il faut que les bureaux soient vidés le soir pour être rendus disponibles », remarque le président de l'ADI. La réflexion ne fait que commencer.