Car l'Europe est dopée aux engrais russes. Avec 6,2 millions de tonnes en 2024, et déjà près de 2 millions depuis début 2025, le "made in" Russie représente un quart des importations de fertilisants, selon les données de la Commission européenne.
"L'origine russe est la plus compétitive en termes de prix, et en raison d'une logistique bien établie" pour approvisionner l'UE, explique Dominique Dejonckheere, au Copa-Cogeca, l'organisation des syndicats agricoles européens.
Plus de trois ans après l'invasion russe de l'Ukraine, l'Union européenne a décidé de taper du poing sur la table.
Bruxelles veut priver la Russie d'une manne qui finance son effort de guerre. L'UE entend aussi empêcher les Russes de passer par ces engrais pour exporter leur gaz naturel, principale matière première utilisée dans la fabrication de ces fertilisants azotés.
Pour couper le robinet, des taxes sur les engrais russes comme bélarusses pourraient donc entrer en vigueur à partir de l'été, avec une augmentation progressive durant trois ans. Approuvées mi-mars par les États membres, elles doivent encore être débattues en mai au Parlement européen.
A la Commission, on assure que tout a été fait pour qu'elles n'affectent pas les prix de l'ensemble des engrais sur le marché.
L'exécutif européen insiste sur la progressivité des taxes et promet d'intervenir si les prix grimpent. En cas d'inflation, la Commission pourrait suspendre les taxes douanières sur les engrais d'autres régions: Maghreb, Asie Centrale, États-Unis, Trinité-et-Tobago ou Nigeria...
Surtout, l'Union vise une augmentation de la production européenne. L'annonce de la taxation des engrais russes est d'ailleurs applaudie par les industriels de l'UE.
Le lobby européen Fertilizers Europe voudrait même des taxes plus rapides, car ses producteurs sont "exposés depuis des années à des importations à des prix artificiellement bas en provenance de la Russie et du Bélarus", dénonce-t-il.
- "Dans le rouge" -
Du côté des agriculteurs, on fait en revanche la grimace. Le risque d'augmentation des prix est "une grande source d'inquiétude", prévient Amaury Poncelet, céréalier et betteravier à Berloz dans le centre de la Belgique.
"Certains collègues sont déjà dans le rouge. On comprend qu'il faut aider l'Ukraine et emmerder les Russes, mais au bout de la chaîne, c'est nous", souligne-t-il.
En mars, le Copa-Cogeca a tiré la sonnette d'alarme dans un communiqué.
"La proposition de la Commission n'est pas suffisamment équilibrée, on a le sentiment que les agriculteurs sont les oubliés", regrette Dominique Dejonckheere.
Le lobby agricole plaide pour un report d'un an des taxes ou des dérogations autorisant l'épandage d'autres produits: les effluents d'élevage.
Le moment venu, les syndicats n'excluent pas un mouvement de protestation "si les prix des engrais se mettent à augmenter fortement et que la Commission n'est pas capable de réagir rapidement".
L'exécutif européen, déjà confronté à un vaste mouvement de colère agricole à la fin du précédent mandat, surveille donc le sujet comme le lait sur le feu.
Le 19 mai, une réunion de l'observatoire européen du marché des engrais, avec industriels, agriculteurs et responsables européens devrait permettre de prendre la température.
Au Parlement, la rapporteuse du texte, la Lettone Inese Vaidere (PPE, droite) se veut rassurante. "La situation est sous contrôle", "nos agriculteurs ne seront pas très affectés" car il y a des capacités européennes et de "nombreux autres pays prêts à nous fournir des engrais", affirme cette élue.
Mais des divergences se manifestent jusque dans son propre groupe. L'eurodéputée française Céline Imart, également exploitante céréalière, plaide pour reporter la taxation des engrais russes à 2026 ou pour une baisse des tarifs douaniers immédiate sur les importations d'autres pays, sans attendre une éventuelle inflation.
"Bien sûr qu'il faut réduire la dépendance aux engrais russes", mais "les agriculteurs payent toujours le prix sans rien demander, ils s'en prennent plein la tête", estime-t-elle.