Il n'avait pas duré longtemps, mais son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, avait tout de même connu un état de grâce avec les syndicats. Manuel Valls, qui reçoit aujourd'hui toute la journée à Matignon les représentants des organisations patronales et syndicales représentatives, lui, n'en aura pas. Le nouveau Premier ministre, qui n'est pas un vieux routier du dialogue social, va devoir convaincre.La situation de l'emploi et le contexte économique ne sont pas favorables. Mais ce n'est pas la seule explication. Les orientations affirmées par le nouveau chef du gouvernement à l'Assemblée mardi ont inquiété les organisations de salariés. Elles ont trouvé son discours de politique générale très tourné vers le patronat et les entreprises. Le geste annoncé en faveur des salariés les moins bien payés, qui bénéficieront d'une diminution de cotisations patronales, n'a pas suffi à les rassurer, loin s'en faut. Tout comme le plaidoyer en faveur du dialogue social.

Marche nationale contre l'austérité

Force ouvrière et la CGT continuent de dénoncer le pacte de responsabilité mis en avant par Manuel Valls. « La logique de l'austérité perdure », a déploré FO, qui s'est interrogée : « Le changement dans la continuité c'est maintenant ? », en référence au slogan de François Hollande pendant la campagne présidentielle. Quant à la CGT, elle a jugé que « le patronat [a été] entendu et servi ». Engluée dans une crise de légitimité de son numéro un, Thierry Lepaon, la centrale est soumise à de fortes pressions internes pour alimenter la contestation politique de l'exécutif. Au motif que la période de courroie de transmission avec le Parti communiste est révolue, plusieurs dirigeants de fédérations importantes de tendance conservatrice comme d'ouverture (agroalimentaire, Filpac, services publics, UGFF...), mais aussi Bernard Thibault et Georges Séguy, se sont estimés légitimes à appeler en tant que syndicalistes à manifester au côté du Front de gauche et du NPA ainsi que de dirigeants d'organisations du mouvement social comme le DAL ou la Fondation Copernic demain, lors d'une « grande marche nationale contre l'austérité ».La CFDT, qui, elle, a choisi de soutenir la démarche du pacte de responsabilité, non sans débats internes (lire ci-dessous), prend soin de marquer ses distances. Dans la ligne de mire de Laurent Berger, son secrétaire général, il y a la façon dont va s'organiser la mise en oeuvre du pacte. Lui veut ce qu'il appelle une « trajectoire ». Il demande que, chaque année, la nouvelle tranche d'allégements de cotisations ne soit consentie qu'au regard des résultats obtenus en termes d'emplois par rapport aux engagements qui seront pris dans les branches, en application du relevé de conclusions que la CFDT et la CFTC ont signé avec le patronat sur les contreparties au pacte. « Ce n'est pas : on fait un calendrier en trois ans et, de toute façon, vous l'aurez ; vous l'aurez simplement si vous tenez vos engagements en termes d'emplois », a-t-il insisté mercredi sur France Inter. Manuel Valls va devoir le rassurer sur le fait qu'il partage l'exigence du respect des engagements.

Mobilisation des fonctionnaires

Il sera aussi très attendu sur le financement du pacte de responsabilité via les 50 milliards d'euros d'économies à réaliser sur les dépenses publiques, qui ne seront dévoilées officiellement que fin avril dans le programme de stabilité. L'effort qui va être demandé à la Sécurité sociale (21 milliards d'euros au total) inquiète très fortement les syndicats. Ceux-ci, qui vont jouer leur représentativité dans les trois fonctions publiques à la fin de l'année, savent aussi que les fonctionnaires seront en première ligne. Des fonctionnaires qui n'ont pas eu d'augmentation générale depuis 2010, un gel qui devrait être prolongé.Leurs syndicats ont décidé il y a quelques jours de les appeler à se mobiliser sur le sujet le 15 mai. Alors que la désunion syndicale domine en ce moment, ils ont réussi à tous s'entendre, sauf FO et la petite CGC. Le fait que les moins bien payés d'entre eux (les catégories C) aient bénéficié de mesures salariales le mois dernier suffira-t-il à limiter l'ampleur du mouvement ? En tout cas, peut-être plus encore que le 1er Mai, après l'échec de la journée d'action lancée par FO et la CGT au niveau confédéral le 18 mars, la mobilisation aura valeur de test… Ou de baptême du feu pour Manuel Valls.