En huit séances réparties sur un peu moins d'un mois, syndicats et patronat ont réussi à aboutir sur deux négociations - assurance-chômage et emploi des seniors - à la saveur très politique, après des années de dialogue social interprofessionnel sous la férule macroniste. Trois accords même, puisque la dernière séance s'est soldée, un petit peu à la surprise, dans la nuit de jeudi sur un texte supplémentaire supprimant la limite de trois du nombre de mandats pour les élus des comités sociaux économiques. Ce qu'il faut en retenir sur le fond comme sur la forme.

Comme un parfum de revanche

Même si tous les syndicats ne les liaient pas, ces négociations assurance-chômage et emploi des seniors avaient une saveur spéciale unanimement partagée. La première a ressuscité l'accord de fin novembre, le premier à leur main en sept ans, même s'il leur a fallu pour cela avaliser les effets de la réforme honnie des retraites de 2023. La seconde leur offrait la possibilité de laver, en partie, l'échec de la mobilisation contre cette même réforme, ce qu'ils n'avaient pas réussi en avril avec l'échec douloureux de la négociation sur les parcours de la vie professionnelle.

Soucieux de jouer l'apaisement, Michel Barnier s'est empressé de jouer l'ouverture dans sa déclaration de politique générale. Par conviction sans doute un peu, parce qu'il a des priorités bien plus lourdes surtout. Très attendue par les syndicats, l'ouverture du Premier ministre sur les retraites progressives, que son prédécesseur leur avait refusée, a à peine été ternie par l'exigence de trouver 400 millions d'économies supplémentaires dans les caisses de l'Unédic.

Le patronat, lui, jouait une partition différente puisqu'il a applaudi quasiment toutes les réformes sociales depuis 2017, des ordonnances travail aux 64 ans, en passant par le durcissement des règles d'indemnisation sous l'ère Philippe-Borne. Autant de réformes qu'il n'aurait jamais obtenues par des compromis avec les syndicats, ce qui ne l'empêche pas de plaider pour un retour aux manettes du dialogue social national.Bref, pour les deux camps, l'échec n'était pas une option envisageable, encore plus dans ce contexte politico-économique troublé. Ne pas réussir aurait porté un coup très dur à l'image de faiseur de normes sociales des partenaires sociaux, tout en donnant raison aux tenants dans le socle de la majorité ou de l'Etat d'une reprise en main par l'exécutif.

Assurance-chômage : 1,7 milliard d'économies

« Par ailleurs […] les partenaires sociaux sont invités à proposer des mesures permettant de générer annuellement 400 millions d'économies supplémentaires. » La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, très certainement poussée par Bercy, a eu la main lourde début octobre en invitant syndicats et patronat à reprendre leur accord de novembre 2023. Signé par le Medef, la CPME, et l'U2P côté employeur, la CFDT, la CFTC et FO côté salariés, il était resté lettre morte après l'échec de la négociation d'avril sur le pacte de la vie au travail.

In fine, on ne peut pas dire que les intéressés se soient dérobés. L'ensemble des mesures de cette nouvelle convention Unédic est censé améliorer les comptes du régime d'assurance-chômage de 2,4 milliards sur sa période d'application, de 2025 à 2028. En régime de croisière, les estimations grimpent à 1,7 milliard par an, un niveau inédit.Versement des allocations sur une base de trente jours par mois tous les mois, décalage de deux ans des bornes d'âge de la filière senior pour tenir compte de la réforme des retraites, ou encore coup de massue sur l'indemnisation des travailleurs frontaliers : les syndicats signataires (CFDT, CFTC et probablement FO) ont été obligés d'avaler d'importantes baisses de droits pour les chômeurs. L'impérieuse nécessité à leurs yeux de reprendre la main sur les règles d'indemnisation l'a emporté. Pour équilibrer le texte entre salé et sucré, ils ont arraché quelques améliorations. La durée d'affiliation minimale des jeunes et des saisonniers pour être couverts est par exemple réduite de 6 à 5 mois. Le patronat, lui, a obtenu ce à quoi il tenait par-dessus tout : la baisse de la cotisation chômage employeur de 4,05 % à 4 %. Il lui a toutefois fallu accepter qu'elle soit décalée de quatre mois au 1er mai, pour boucler l'équation financière imposée par le gouvernement. Le toilettage des aides aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise a fait consensus en revanche. Avec à la clé, 1,4 milliard d'économies sur quatre ans.

Objectif : augmenter le taux d'activité des 60-64 ans

Comme pour l'assurance-chômage, la négociation sur l'emploi des seniors n'est pas partie de rien. Nécessité d'aller vite oblige, elle a repris l'un des quatre chapitres de la négociation d'avril qui a échoué. Plusieurs mesures sont passées comme une lettre à la poste car elles avaient déjà fait l'objet d'un compromis à l'époque. Citons l'obligation des branches professionnelles et des entreprises d'au moins 300 salariés de mener des négociations tous les trois ans. « A nous d'armer nos représentants pour les nourrir », ont lancé, pied au plancher, les chefs de file des délégations syndicales.Le renforcement de l'entretien professionnel autour des 45 ans n'a pas fait de vagues non plus. Le nouveau rendez-vous dans les deux années qui précèdent le 60e anniversaire pour « aborder les conditions de maintien dans l'emploi » encore moins. Le salarié pourra aussi demander un temps partiel spécifique pour aménager sa fin de carrière. Les débats sur l'accès à la retraite progressive ont été un peu plus tendus. Le gouvernement Barnier ayant donné son accord, les deux camps ont acté du maintien à 60 ans de l'âge à partir duquel un salarié peut y prétendre, une revendication forte des syndicats. Devant l'inflexibilité patronale, ils ont dû abdiquer en revanche sur une de leurs autres revendications fortes, sauf pour la CFTC : rendre ce droit opposable, c'est-à-dire que l'employeur ne puisse le refuser.La messe étant dite dès les premières séances, le seul point d'achoppement des négociations a porté sur le contrat de valorisation de l'expérience, ex-CDI. Destiné aux chômeurs de plus de 60 ans, 57 par accord de branche, dans le cadre d'une expérimentation de cinq ans, ce contrat aura, une fois inscrit dans la loi, pour particularité de pouvoir être rompu à l'initiative de l'employeur quand le salarié à la retraite a atteint l'âge légal et qu'il remplit les conditions d'un taux plein.La CPME le voulait assorti d'une exonération progressive de cotisation chômage employeur à raison de 1 point par an jusqu'à 64 ans, remboursable en cas de rupture anticipée du contrat. Suivi mollement par le Medef et l'U2P, l'organisation patronale des PME a dû se faire une raison. Acceptant l'ex-CDI senior à contrecoeur, les syndicats ont réussi à l'encadrer. Les garde-fous qu'ils ont imposés dans l'accord ont valeur d'enterrement de première classe de la mesure d'exonération.