De mémoire de syndicaliste, cela fait quinze ans que cela n'avait pas eu lieu. La négociation des salaires à la Société générale s'est achevée sur un boycott de la dernière réunion par tous les syndicats et une décision unilatérale de l'employeur… Ce ne devrait pas être la seule entreprise touchée par un tel regain de tension car la plupart des entreprises ont la ferme intention de réduire la voilure sur les augmentations de salaires en 2025 et elles s'y attendent. C'est ce que montre la nouvelle édition de l'enquête annuelle réalisée par Alixio dont « Les Echos » révèlent les résultats en exclusivité.

La société de conseil en ressources humaines a interrogé 120 DRH et responsables de rémunération représentant tous les secteurs d'activités avec une majorité d'entreprises de plus de 1.000 salariés et 25 % de filiales de groupes étrangers. Leurs réponses permettent tout d'abord de dessiner le contexte dans lequel va s'inscrire leur politique salariale en 2025 et il n'est pas rose.

Pessimisme et prudence

Plus de 8 entreprises sur 10 se disent en effet « pessimistes » et « prudentes » pour l'an prochain, plaçant en tête de leurs préoccupations la conjoncture économique. L'enquête a été achevée juste avant le rejet du projet de budget de la Sécurité sociale et la censure du gouvernement Barnier. Mais « ces événements n'auraient pas changé grand-chose car l'incertitude était déjà là », souligne cependant Rodolphe Delacroix, directeur associé chargé des rémunérations et de l'actionnariat salarié d'Alixio.

La dégradation de la conjoncture a un effet sur l'emploi. Près d'une entreprise interrogée par le cabinet de conseil sur deux déclare geler des recrutements et près d'un tiers envisage des réductions d'effectifs (dans 7 % des cas seulement via un plan social). Dans ce contexte, l'enjeu de la fidélisation des salariés et les problèmes d'attractivité liés aux salaires régressent.S'il subsiste des difficultés de recrutement, « le marché est moins favorable aux salariés, sauf dans certains domaines », constate Rodolphe Delacroix. L'étude évoque en particulier les métiers techniques d'expertise et ceux de l'informatique, de la data et de la cybersécurité. S'ajoute enfin à tout cela le fort ralentissement de la hausse des prix qui a donné clairement à voir le bout de la spirale inflationniste à partir de septembre dernier… Mais aussi la perspective d'une diminution des allégements de cotisations sociales, qui persiste après l'échec du vote du projet de budget de la Sécurité sociale.La conjonction de tous ces facteurs conduit près de huit entreprises sur dix à faire preuve d'« attentisme » et de « prudence » dans leurs négociations salariales pour 2025, montre l'enquête d'Alixio. Mais si « elles sont inquiètes, elles ne versent pas dans le catastrophisme », insiste Rodolphe Delacroix. « Pas question de rajouter un problème au problème, elles sont simplement réalistes », souligne-t-il. Résultat : 93 % des employeurs interrogés prévoient un ralentissement de la progression de leur masse salariale, dans la poursuite de la tendance constatée en 2024.L'enquête menée par Alixio chiffre cela précisément. Elle évalue en moyenne à 2,47 % la hausse des budgets d'augmentation salariale l'an prochain. Contre 3,5 % réalisés en 2024 et même 4,9 % réalisés en 2023. La tendance s'est amplifiée depuis septembre. Tous les secteurs ont revu à la baisse leur épure à une exception près : la pharmacie qui de 5e position, à 2,8 %, passe en tête à 3,2 % devant le luxe qui a réduit la voilure, passant de 3,3 % à 2,7 %. Le commerce se retrouve à la dernière place, à 2,1 %. La prime de partage de la valeur n'est, elle, plus envisagée que par 4 % des entreprises.La structure des budgets d'augmentation salariale va par ailleurs, elle aussi, évoluer l'an prochain avec une modification des équilibres entre les types d'augmentation, encore plus pour les cadres que les non-cadres, amplifiée depuis septembre. Les prévisions d'augmentations générales seraient en moyenne de 0,2 % pour les premiers (contre 1,6 % envisagé en septembre) et de 1 % pour les seconds (contre 1,8 %). Côté augmentations individuelles, on passerait pour les cadres de 2,3 % à 1,9 % et pour les non-cadres de 1,5 % à 1,3 %. Les budgets de promotion seraient en outre limités, à 0,3 % pour les cadres (-57 %) et 0,2 % pour les non-cadres (-67 %).

Normalisation

Difficile de parler d'un retour de l'austérité salariale, une entreprise sur deux prévoyant une inflation entre 1,5 et 2 %. Rodolphe Delacroix évoque plutôt une forme de normalisation, un retour avant la poussée inflationniste. Mais perdure un problème auquel 71 % des employeurs interrogés par Alixio disent être confrontés : l'existence d'un décalage entre la perception par les salariés d'une inflation toujours élevée et sa réalité.Ceci explique que près de la moitié des entreprises anticipe une dégradation du climat social avec les syndicats contre 39 % qui parient pour un statu quo. Alors que 2024 a été calme : seules 15 % des entreprises interrogées ont connu un mouvement social lié aux salaires cette année.