« L'année 2024 est la pire année que l'on ait connue depuis 2010 en termes de défaillances d'entreprises », résume Alain Tourdjman, directeur des études économiques du groupe bancaire BPCE. Selon le décompte provisoire de l'établissement, 66.422 entreprises françaises ont fait défaut l'an dernier, un niveau qui n'avait pas été atteint même au lendemain de la crise financière de 2008.

Entre 2010 et 2015, le nombre de défaillances naviguait un peu au-dessus de 60.000 par an, avec un pic de 63.760 défauts en 2015. Une décrue s'était ensuite amorcée. Plus inquiétant : la vague de défaillances va continuer de monter, selon BPCE.Après l'épisode exceptionnel de l'épidémie de Covid, où le nombre de défauts est tombé au plus bas grâce à l'intervention massive de l'Etat entre 2020 et 2022, une remontée des procédures collectives était inévitable. « Globalement, on n'a rattrapé que 37 % des défaillances qui ne s'étaient pas produites, estime Alain Tourdjman. Mais si on considère le tissu des PME et ETI, très peu de défaillances ont été évitées. La politique du 'quoi qu'il en coûte' a été peu efficace pour les structures de plus de 10 salariés. Lorsque les aides ont été arrêtées, ce sont elles qui ont été le plus touchées », poursuit-il.

Caddie, Duralex, Le Coq Sportif, Safra et bien d'autres : au total, 5.265 PME et ETI hexagonales sont tombées en 2024, un chiffre en progression de 51 % comparé à 2019. C'est donc le coeur du tissu entrepreneurial français qui a été touché. Avec, à la clé, un effet de contagion qui se diffuse dans toute l'économie et de lourdes conséquences sur le plan social.

Accumulation de difficultés

Quelque 260.000 emplois se sont retrouvés menacés par une procédure collective en 2024, comme en 2023. Toutefois, tous ne sont pas amenés à disparaître. De fait, une défaillance ne signifie pas forcément la mort de la société. L'enseigne de prêt-à-porter Naf Naf, par exemple, a été reprise en juin dernier par la société turque Migiboy Tekstil, qui a maintenu l'emploi de 521 salariés.

L'année passée, les difficultés se sont accumulées pour les grosses PME : les taux d'intérêt élevés et la faiblesse de la demande qui leur était adressée. En effet, « l'essentiel de la croissance économique l'an dernier est venu du commerce extérieur et de la demande publique, ce qui a surtout profité aux grandes entreprises », relève Alain Tourdjman.

En face, les coûts de production ont, eux, continué à s'alourdir. Dans ce contexte, le remboursement des prêts garantis par l'Etat (PGE) accordés pendant la pandémie est devenu un boulet pour nombre de sociétés. Dans le même temps, l'Urssaf, qui s'était montrée clémente à la sortie du Covid, a aussi repris le rythme normal des assignations. Par secteur, la construction et l'immobilier apparaissent désormais en situation de « sur-défaut », plombés par le renchérissement du crédit. Le transport-entreposage et les activités de services aux entreprises alimentent aussi l'hécatombe.

Décrue, au mieux, en fin d'année

En revanche, « le surcroît de défauts n'est pas lié aux créations d'entreprises récentes », souligne Julien Laugier, économiste du groupe BPCE. En 2024, les sociétés créées il y a moins de trois ans ne représentent, de fait, que 18 % des défaillances. Et les entrepreneurs individuels qui alimentent le flot des créations apparaissent très peu touchés.

Reste que dans une conjoncture dégradée, bridée par l'instabilité politique en France et par un environnement international peu porteur, l'espoir d'une embellie dans les prochains mois apparaît très faible. Au contraire, l'année 2025 pourrait être pire que 2024 sur le front des défaillances, selon le groupe BPCE.

Il note ainsi que, sur la période récente, les dépôts de bilan au sein des entreprises de petite taille se sont de nouveau accélérés. Dans ce contexte, il prévoit quelque 68.000 défauts cette année, soit une nouvelle hausse de 2 %. Autour de 240.000 emplois seraient encore sur la sellette. La décrue, elle, ne serait pas attendue avant la fin de l'année, voire début 2026.