"Compte tenu de l’importance du sujet et de la gravité des faits établis, il a demandé au gouvernement de formuler de nouvelles propositions qui seront examinées lors d’un prochain Conseil de défense au début du mois de juin", a résumé l'Elysée dans un communiqué laconique. 

Le président avait convoqué autour de lui le Premier ministre François Bayrou et les ministres concernés, de l'Intérieur à ceux en charge des Affaires étrangères, des Finances, ainsi que de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et des Sports.

Selon plusieurs sources, le chef de l'Etat n'a pas seulement dit aux ministres présents de revoir leur copie. Il s'est aussi agacé que le rapport qu'il avait lui-même demandé en 2024 sur les Frères musulmans et l'islamisme politique ait fuité dans la presse.

"L’ambiance était pesante et Emmanuel Macron s’est énervé contre quelques-uns de ses ministres sur la préparation de la réunion et sur les fuites en amont", a confirmé une source ministérielle.

Selon cette source, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, auréolé de sa victoire sans appel dimanche à la tête du parti des Républicains, était clairement "ciblé sur les fuites". Une autre au sein du gouvernement tempère: "il y a eu un moment un peu sec, mais il ne visait pas particulièrement Retailleau".

- "Islamisme par le bas" -

Le ministre de la Justice Gérald Darmanin a tout autant agacé Emmanuel Macron avec sa proposition d'ouverture d'un quartier de haute sécurité en Guyane pour les "têtes de réseau du narcotrafic", une idée qui a jeté un froid sur cette ancienne terre de bagne, à des milliers de kilomètres de la France.

"Entre un rapport classifié qui fuite opportunément et une proposition de prison de haute sécurité sortie de nulle part (..) franchement ce n'est pas sérieux", a pointé une source au sein du camp présidentiel.

Le chef de l'Etat a réclamé un "communication adéquate", a ajouté cette source, en rappelant les violentes réactions dans une partie du monde musulman après son discours en 2020 sur le séparatisme. "On ne peut pas donner l’impression que tous nos compatriotes musulmans sont des agents d’influence des Frères musulmans", a poursuivi cette source.

Le rapport, dont l'AFP a obtenu copie et qui doit être publié dans une version détaillée d'ici la fin de la semaine, fait état d'une "menace pour la cohésion nationale" avec le développement d'un islamisme "par le bas" de la part des Frères musulmans.

En écho, M. Retailleau a dénoncé mardi la "menace" que pose l'"entrisme" des Frères musulmans, estimant que leur but était "de faire basculer toute la société française dans la charia", même si selon le rapport, "aucun document récent ne démontre (une telle) volonté". 

Auprès du Parisien, le ministre a insisté sur "l’entrisme dans les associations sportives": "Aujourd’hui, il y a des prières dans les vestiaires, ou des clubs où les filles ne sont plus admises", a-t-il déclaré.

Et il a esquissé de premières pistes devant le Sénat, à savoir "une meilleure organisation de l'État"  avec "un vrai chef de file en matière de renseignement" et "un parquet administratif au ministère de l'Intérieur" pour "diligenter des dissolutions" et "des entraves administratives". 

Il a également évoqué une "formation" des fonctionnaires et des élus locaux, et une "stratégie de sensibilisation du grand public", soulignant "des trous dans la raquette" concernant les "circuits financiers" de cette mouvance. 

- Amalgames -

Présentée comme "la branche nationale des Frères musulmans en France", la Fédération des Musulmans de France a vivement dénoncé dans un communiqué des "accusations infondées" et mis en garde contre des "amalgames dangereux".

"Nous rejetons fermement toute allégation qui tenterait de nous associer à un projet politique étranger, ou à une stratégie d'+entrisme+. Cette lecture idéologique ne reflète ni notre réalité institutionnelle ni notre action de terrain", a-t-elle assuré.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM), ex-instance de représentation de l'islam tombée en disgrâce en 2021, a lui aussi exprimé sa "profonde inquiétude face aux possibles dérives et instrumentalisations des données rendues publiques". 

"L'islamophobie franchit un seuil", a tonné sur X Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, s'inquiétant d'un "déchaînement d'inquisitions cruelles". 

Avant même sa publication officielle, la classe politique a rivalisé de réactions et de propositions. A l'instar du patron de Renaissance Gabriel Attal qui a souhaité interdire le voile dans l'espace public pour les mineures de moins de quinze ans.

"Mais quand on édicte une règle, il faut être sûr de pouvoir la faire appliquer", a estimé en retour M. Retailleau.