Le 5 octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) présidée par Jean-Marc Sauvé estimait à environ 330.000 le nombre de mineurs victimes de clercs, religieux ou laïcs au sein de l’Église depuis 1950.

Des chiffres "accablants", qui avaient poussé l’Église à reconnaître, sous la houlette du président de l'épiscopat Éric de Moulins-Beaufort, sa responsabilité institutionnelle et à créer des instances de réparation (l'Inirr et la CRR).

Quatre ans après "on est au milieu du gué. Des choses ont été faites, c'est incontestable", affirme Véronique Margron, la présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France), se félicitant qu'"environ 2.500 personnes ont été accompagnées" par les instances.

Même si cela ne représente qu'1% des victimes, l’Église a aussi lancé d'autres initiatives: formation "stop abus", numéro de téléphone dédié, journée mémorielle le troisième vendredi de Carême...

Martin Dumont, secrétaire général de l'Institut de recherche pour l'étude des religions, cite aussi les protocoles signés dans plus de 80 diocèses avec les parquets, ainsi que la mise en place, en 2021, d'un tribunal pénal canonique.

"On est à des années-lumières de l'avant-rapport de la Ciase, mais il reste encore à faire", affirme-t-il, en soulignant que "l'idée de tourner la page tente pas mal de monde, qui se disent +on en a beaucoup parlé, ce n'est pas le centre de la vie de l'Église+".

Une idée fermement rejetée par Éric de Moulins-Beaufort en avril, lors d'un colloque rassemblant évêques et victimes à Lourdes: "pas question de tourner la page", avait-il affirmé quelques mois avant la fin de sa présidence.

Un rapport d'étape publié à cette occasion invitait "à ne pas éluder les résistances, les angles morts, les renoncements, et à ne pas se décourager devant l’ampleur du travail".

- "Colère" -

Car l’Église doit désormais faire face aux révélations sur des violences, notamment sexuelles, qui se sont produites dans plusieurs établissements catholiques.

Notre-Dame de Bétharram, Saint-Stanislas à Nantes, Sainte-Croix-des-Neiges à Abdondance... Les faits remontent parfois aux années 1950, mais "à chaque fois cela provoque de la colère, de la désespérance", souligne Véronique Margron.

Ces révélations ont fait repartir à la hausse les saisines de l'Inirr (Instance nationale indépendante de reconnaissance et réparation), selon sa présidente Marie Derain, qui plaide pour "une reconnaissance institutionnelle" de la part de l'enseignement catholique.

Et pour Jean-Marc Aveline, le nouveau président de la Conférence des évêques de France, l’Église "doit mieux faire" sur ce sujet.

L'archevêque de Marseille a énoncé dès avril plusieurs "chantiers prioritaires": transformer l'Inirr en "structure pérenne", étendre l'action aux victimes majeures...

Cette réparation des personnes majeures est "un peu l'angle aveugle de l'effort mené", estime Martin Dumont au vu du "timide" processus présenté en avril.

Les évêques "demeurent incapables" de leur "offrir une réponse adaptée", ont également estimé plusieurs collectifs, très actifs dans certains diocèses -- l'un a obtenu la pose d'une plaque mémorielle, l'autre a été reçu par le pape François...

Malgré la prise de conscience, certains ecclésiastiques semblent encore avoir du mal à se défaire d'un réflexe de silence lorsque de vieilles affaires ressurgissent.

À Toulouse cet été, il aura fallu l'intervention de la CEF pour que l'évêque renonce à promouvoir un prêtre condamné pour viol sur mineur en 2006. 

À Strasbourg, c'est l'émoi général qui a poussé à la démission un ecclésiastique promu vicaire général, alors qu'il avait été accusé d'agression sexuelle sur mineur au début des années 1990.

"C'est comme si on continuait de penser qu'on peut ramener ça à des affaires individuelles", déplore Véronique Margron. 

"Nous n'avons pas vraiment intégré ce que systémique veut dire", même si "certains évêques, certains supérieurs religieux en sont tout à fait convaincus", ajoute-t-elle.