Une nouvelle manche est gagnée pour Technifen Wehr. Six mois après avoir été repris en société coopérative par 36 de ses salariés à la barre du tribunal de commerce de Mulhouse, le fabricant de menuiseries en PVC de Lutterbach, dans le Haut-Rhin, est sur la bonne voie. Même si le secteur de la construction et de la rénovation est tendu, l'activité se porte bien et l'entreprise a pu embaucher (deux CDD et un CDI). « Le chiffre d'affaires réalisé depuis juin devrait dépasser les 4 millions d'euros », indique Patrice Poulot, cadre commercial devenu directeur général avec l'opération. Il vise les 8,5 millions d'euros sur une année complète.

Constituer une SCOP pour éviter de mettre la clé sous la porte ? Sur les 250 nouvelles SCOP créées annuellement (la France recensait en 2023 près de 4.500 SCOP et SCIC, un statut apparenté), le nombre d'entreprises en redressement transformées en SCOP oscille, ces dernières années, entre 10 et 20. En dix ans, elles sont moins de 120 à être nées d'un redressement judiciaire. Ici, c'est un fabricant de tubes en acier, là une imprimerie, ailleurs un journal local ou des tailleurs de pierre… Dans la région Grand Est, Marie-Madeleine Maucourt, la directrice de l'Union régionale des SCOP, traite par exemple une trentaine de dossiers de ce type par an, mais elle va jusqu'au bout du processus dans moins de la moitié des cas. En 2024, elle aura ainsi piloté huit reprises. « C'est tout de même 250 emplois sauvés sur le territoire », souligne-t-elle.

Moins symbolique que la verrerie Duralex dans le Loiret, hors norme par sa taille et la mobilisation dont elle a bénéficié, moins visible que la filature de laine Bergère de France dans la Meuse, toutes deux récemment reprises par les salariés, Wehr revient de loin. Passée, après le Covid, des mains de Saint-Gobain à celles d'un holding lyonnais, la PME, alors d'une centaine de personnes, s'est retrouvée l'hiver dernier en redressement judiciaire. Des comptes exsangues, sans plan de continuation de la direction, l'entreprise ne suscitait guère l'enthousiasme, mais « pour nous, les salariés, elle était largement viable », raconte Patrice Poulot, dont la priorité était de « surtout garder la fabrication et des emplois en Alsace ».

Sur ce seul territoire alsacien, le nombre de SCOP a doublé en dix ans - environ 80 sur les 216 coopératives (soit près de 5.000 salariés) que compte l'ensemble de la région Grand Est. Ici, l'Union régionale des SCOP y accompagne depuis longtemps des PME jusqu'à la barre du tribunal. « Il n'y a pas un administrateur judiciaire qui ne nous connaisse pas dans la région », explique Marie-Madeleine Maucourt. Au fil des années, elle et ses équipes ont acquis une réputation d'experts sur le sujet. Et les dossiers d'entreprises en difficulté arrivent tout seuls.

Mécanique « complexe »

« A chaque fois que nous traversons une crise et que la courbe des défaillances d'entreprises remonte, le mouvement est plus sollicité », résume Amélie Rafaël, vice-présidente de la Confédération générale des SCOP. Pour cette année, elle dénombre, à l'échelle nationale, une centaine de sollicitations, contre moins de soixante en moyenne les années précédentes.

Toutes ne se concrétisent pas pour autant. « A la différence d'un plan de cession classique où vous mettez un prix sur la table pour reprendre tant de salariés, la mécanique de la reprise en SCOP est complexe, témoigne, en région, un administrateur judiciaire. Il y a des tribunaux où je n'ai pas réussi à faire passer le message, parce que la juridiction n'a pas compris. » Déjà, il ne présente à la fédération locale que 3 ou 4 des 80 dossiers qu'il traite par an.Pourtant, le taux de pérennité à plus de cinq ans de ces PME en difficulté devenues des coopératives se rapproche de plus en plus de celui des autres SCOP issues d'une transmission d'entreprise saine ou nouvellement créées (près de 90 %, selon les derniers chiffres communiqués). « Il y a encore un décalage, mais il reste très supérieur au taux de pérennité des PME classiques, qui est de 61 % », défend Amélie Rafaël.

La crédibilité du statut est d'autant plus en jeu que l'organisation porte financièrement, chaque projet, sur des tours de table de quelques millions d'euros - pour des entreprises d'un effectif moyen de 30 personnes. Financeur clé de l'économie sociale et solidaire, le mouvement France Active les accompagne régulièrement, de même que le Crédit Coopératif.

Avec la Caisse d'épargne, la banque coopérative a, par exemple, avancé 750.000 euros aux salariés de Wehr (l'entreprise a été rachetée 500.000 euros). « Le financement n'a jamais été un problème ; le mécanisme est très technique, mais il fonctionne bien. La SCOP est un repreneur comme un autre, avec des financements particuliers », résume un administrateur judiciaire, citant un cas récent de SCOP qui a réussi à lever 4 millions d'euros « plutôt facilement ». L'opération serait-elle menée aussi aisément aujourd'hui ? Depuis le deuxième trimestre, Marie-Madeleine Maucourt constate un moindre allant des banquiers pour ces projets de reprise. « Ils trouvent que les SCOP sont un peu trop nombreuses dans leur portefeuille et ont le pied sur le frein », analyse-t-elle. La responsable veut garder confiance. Une grosse reprise en SCOP, qui implique 80 salariés, se profile dans sa région, pour décembre ou janvier. « Les banquiers sont d'accord à condition que le client principal donne des garanties. Il y a beaucoup de contraintes dans un délai court, mais nous allons y arriver », assure-t-elle.