Début juillet, le gouvernement fédéral de Washington a proposé de renforcer la protection des salariés américains contre les vagues de chaleur qui traversent régulièrement le continent. Le 27 mai, le thermomètre a grimpé jusqu'à 44,4 dégrés Celsius dans le sud-ouest du Texas ; le 7 juillet Las Vegas a même battu son record, avec 49 °C à l'ombre. Certains touristes, éméchés, ont fini aux urgences, brûlés au deuxième et troisième degré, après être tombés sur l'asphalte : quand la température extérieure est de 46 °C, celle du goudron dépasse les 71 °C.

Les personnes les plus exposées à de telles brûlures sont les seniors, les sans-abri, les enfants et, bien sûr, les salariés opérant en extérieur, au premier rang desquels les ouvriers du BTP. Rien qu'en 2022, 43 employés sont décédés à la suite d'une exposition à une chaleur extrême, selon le Bureau américain des statistiques du travail.

Un marqueur politique

Une menace qui pèse particulièrement sur les Latino-Américains, qui représentent 6 travailleurs de la construction sur 10, selon le Bureau du recensement des Etats-Unis.Outre-Atlantique, « ânes » et « éléphants » s'opposent violemment sur les origines et les conséquences du réchauffement climatique : 65 % des démocrates s'inquiètent « beaucoup » du changement climatique, contre seulement 8 % des républicains, selon un sondage Gallup de 2023. La protection des travailleurs contre les pics de chaleur est donc devenue un marqueur politique.En juin 2023, le gouverneur du Texas, le républicain Greg Abbott, a annulé les ordonnances prises par les villes d'Austin et de Dallas imposant aux entreprises du BTP d'octroyer à leurs employés travaillant en extérieur une pause de 10 minutes toutes les quatre heures pour s'hydrater.Pourtant le Texas est l'Etat enregistrant la plus forte mortalité de travailleurs à la suite d'une exposition à des températures ambiantes trop élevées : entre 2011 et 2021, au moins 42 travailleurs y sont morts pour cette raison, contre aucun dans l'Utah, toujours selon le Bureau américain des statistiques du travail.

Nouvelle réglementation

Après avoir accumulé les rapports sur le sujet pendant deux ans, l'administration Biden a enfin proposé le 2 juillet une nouvelle réglementation visant à protéger les ouvriers exposés à des températures extrêmes, en intérieur ou en extérieur : facteurs, livreurs, ouvriers du bâtiment, jardiniers, personnel des restaurants… Pour ces quelque 35 millions de travailleurs (soit un cinquième de la population active), deux seuils seront prévus.Au-delà de 26 °C, les travailleurs bénéficieront d'eau potable et de zones de repos à l'ombre ou climatisées. Si la chaleur dépasse 32 °C degrés, les employés auront droit également à une pause de 15 minutes toutes les deux heures, et les cadres seront tenus de surveiller leurs employés pour détecter les maladies liées à la chaleur.Dans tous les cas, les personnes reprenant le travail après un congé maladie ou des vacances bénéficieront d'une « acclimatation » avec des pauses plus fréquentes et une charge de travail réduite jusqu'à ce qu'elles aient repris un rythme de croisière. « Trois employés sur quatre qui meurent au travail en raison d'une maladie liée à la chaleur décèdent au cours de la première semaine de travail », a précisé la Maison-Blanche lors du point presse du 1er juillet présentant ce projet.

Cette proposition de réglementation a de grandes chances d'être annulée par la prochaine administration si Trump, surtout intéressé par la « white working class », est élu en novembre.

De Londres à New Delhi

Mais, à peine annoncé, ce projet a fait le tour de la planète, de Londres à New Delhi : en Inde, des dizaines de travailleurs et de fonctionnaires seraient morts lors de la dernière canicule, de la mi-mai à début juin 2024. La protection des salariés contre la chaleur est devenue un enjeu mondial, de santé et de sécurité, mais aussi économique et financier.Selon le Bureau international du travail, « d'ici à 2030, l'équivalent de plus de 2 % du nombre total d'heures de travail dans le monde devrait être perdu chaque année, soit parce qu'il fait trop chaud pour travailler, soit parce que les travailleurs doivent travailler à un rythme plus lent ». Dans le sud de l'Espagne, de la France, de l'Italie, de la Grèce et de la Roumanie, les pertes de productivité pourraient même atteindre 8 % dans les années 2080, selon le JRC, le laboratoire de recherche scientifique de l'Union européenne.Or, ces nouveaux risques professionnels liés à la canicule n'ont fait l'objet pour l'instant, de par le monde, que de mesures parcellaires. Depuis l'an dernier, l'Espagne interdit le travail en extérieur lorsque les phénomènes météorologiques sont « défavorables », et lorsque « la protection adéquate des travailleurs ne peut être garantie d'une autre manière ». En France, l'indemnisation des arrêts de chantier pour cause d'intempéries peut désormais être déclenchée en cas de canicule, dans le cadre du régime « chômage intempéries » du BTP. La proposition de réglementation Biden constitue donc une avancée sociale qui pourrait bien servir de modèle aux syndicats et aux entreprises des cinq continents.