Il y a urgence à relancer les gains de productivité en Europe. Car la productivité a baissé de ce côté-ci de l'Atlantique l'an dernier alors qu'elle a grimpé aux Etats-Unis. Le PIB par heure travaillée a reculé de 1 % dans la zone euro en 2023, mais il a augmenté de 1,5 % chez l'oncle Sam, selon la banque danoise Danske Bank. Sur les trois derniers mois de 2023, la productivité a même grimpé de 2,7 % en rythme annualisé aux Etats-Unis, la plus forte performance de ces dix dernières années.

Or, comme l'a dit un jour le Prix Nobel Paul Krugman, « la productivité n'est pas tout, mais à long terme, c'est presque tout ». Dans un rapport publié fin mars, les experts de McKinsey jugent qu'aujourd'hui, « le monde a plus que jamais besoin de gains de productivité. C'est la seule façon d'élever le niveau de vie dans un contexte de vieillissement de la population, de transition énergétique, de reconfiguration des chaînes d'approvisionnement mondiales et de hausse de la dette ».

Les start-up américaines plus susceptibles d'innover

Comment expliquer ce recul de la productivité européenne et le creusement de l'écart avec les Etats-Unis, qui date du milieu des années 1990 ? Les économistes de Danske Bank avancent trois raisons. Tout d'abord, « l'incapacité de la région à exploiter pleinement le potentiel d'amélioration de la productivité des technologies de l'information et de la communication ». Le stock de capital de ces technologies a progressé de 900 % depuis 1995 outre-Atlantique tandis qu'il n'a grimpé que de 200 % en Italie et 300 % en France et en Allemagne.Ensuite, « une réglementation stricte des marchés des capitaux et des produits en Europe contraint les entreprises du Vieux Continent par rapport à leurs concurrentes américaines et entrave la croissance de la productivité », jugent-ils. Le secteur du capital-risque est vingt fois plus important aux Etats-Unis que dans l'Union européenne et la capitalisation boursière européenne ne représente que la moitié de celle du marché américain en pourcentage du PIB, malgré un taux d'épargne similaire. Les start-up américaines sont plus susceptibles d'innover et de forcer les acteurs existants à s'adapter, ce qui se traduit par un niveau de productivité supérieur de l'autre côté de l'Atlantique, toujours selon Danske Bank.

Le manque d'investissements publics et la baisse du niveau scolaire expliqueraient également en partie la faible productivité européenne. Alors que les investissements publics ont doublé aux Etats-Unis depuis 1995, ceux de la zone euro n'ont crû que de 40 %. Et si seulement 10 % des Américains âgés de 15 à 64 ans n'ont pas fini leur lycée, ce chiffre atteint 40 % dans les pays du sud de l'Europe.

Enfin, la politique économique menée des deux côtés de l'Atlantique et la guerre en Ukraine, qui touche beaucoup plus les Européens, participent à cette différence d'évolution de la productivité à court terme. Le taux de chômage américain est en dessous de 4 % depuis plus de 24 mois, notamment grâce à une politique budgétaire très expansionniste.

Une adaptation plus rapide outre-Atlantique

Or le plein-emploi pousse les entreprises à investir pour automatiser la production, afin d'économiser sur les salaires, qui ont tendance à grimper. Ces dernières ont aussi intérêt à former leurs salariés. Ce qui expliquerait aussi pourquoi, selon les économistes de l'Institut de la finance internationale (IIF), les Etats-Unis sont aujourd'hui le seul pays développé à connaître de tels gains de productivité.Comme le remarquent les analystes de McKinsey dans leur rapport, les investissements, vitaux pour les gains de productivité, « circulent mieux dans les économies à haute pression qui bénéficient d'une forte demande, d'une croissance élevée et d'un chômage faible ». Les cinq plus grosses entreprises américaines de high-tech ont d'ailleurs investi en tout 350 milliards de dollars en R&D en 2022.La flexibilité du marché du travail pourrait aussi jouer un rôle. Ainsi les économistes de Pantheon Macroeconomics mettent en avant le fait que déjà, en 2009, après la crise financière, le PIB par heure travaillée avait grimpé de près de 3 % aux Etats-Unis alors qu'il avait reculé de l'ordre de 1 % en Europe. « Cette divergence peut provenir d'une flexibilité accrue du marché du travail américain et donc, par extension, de comportements différents des entreprises en période de récession. En clair, les entreprises américaines réduisent plus vite leurs coûts que leurs homologues européennes », expliquent-ils.L'adaptation plus rapide entraîne un rebond plus rapide. La destruction créatrice de Schumpeter peut alors fonctionner à plein. Mais il s'agit là du choix de modèles sociaux différents, comme on l'a vu pendant le Covid.