"Je serai belle, même si on me retrouve sous les décombres", dit à l'AFP cette opératrice de grue de 50 ans aux cheveux sombres, dans un salon où elle est venue faire retoucher son maquillage permanent.

Une vingtaine de kilomètres séparent le front de sa ville de la région de Donetsk, Kramatorsk. Les drones explosifs font partie du quotidien, impossibles à oublier. 

Mais pour Olena Sologoub, se chouchouter, c'est refuser de laisser la guerre engloutir sa vie entière.

Le conflit a été pour elle "un coup de pied aux fesses", lui faisant comprendre qu'il faut écouter ses envies sans attendre car "demain ne viendra peut-être pas".

C'est seulement après le début de l'invasion russe de 2022 qui a mis son pays à feu et à sang que cette femme svelte a commencé les injections de Botox contre les rides, et à se faire dessiner le trait d'eye-liner permanent qui cercle de noir ses yeux clairs.

Olena Sologoub confie son visage à la praticienne Ganna Zemliak, 47 ans. Celle-ci affirme avoir autant de clientes qu'avant le conflit, dont certaines trouvent que le stress de la guerre les a fait vieillir plus vite.

Au tout début de l'invasion, "tout le monde était stressé, personne n'avait de temps" pour des soins esthétiques, explique Ganna.

"Et puis tu te rends compte que ça ne va pas s'arrêter", reprend-elle. "Il faut bien continuer à vivre".

- "Mon corps, mon choix" -

Les salons de beauté sont très nombreux en Ukraine, même près du front. Ils sont parfois accompagnés de cabinets de médecine esthétique, populaire dans le pays.

Kateryna Seledtsova, énergétique cheffe d'entreprise de 33 ans, fréquente tous ces lieux assidûment: coiffeur une fois par mois, manucure, pédicure, esthéticienne toutes les trois semaines.

Parfois aussi du Botox et des injections pour les lèvres.

"Pour résumer, c'est cher", plaisante-t-elle. Dans certains centres, les injections de Botox coûtent une cinquantaine d'euros, un budget dans une région à l'économie terrassée par la guerre.

Mais "c'est mon corps, mon choix", dit Kateryna Seledtsova. Elle aime fréquenter ces endroits où l'on peut être "entre filles" et "commérer comme des grands-mères".

Cela a été particulièrement important pour elle au début de l'invasion, quand les femmes de Kramatorsk, ayant fui loin du front, ont été soudainement remplacées par des soldats en garnison. 

Séparée de ses amies, Kateryna a découvert que ces rituels l'aidaient à tenir face au stress. "Je consacre encore plus de temps et d'attention qu'avant" à l'apparence, explique-t-elle.

Plusieurs de ses amies se sont même fait poser des implants mammaires, et elle a récemment trouvé le temps de se faire percer la langue, entre ses mille activités.

Cette maman d'un jeune garçon tient un café, un restaurant de hamburgers et, depuis peu, un studio de photographie où les femmes viennent poser, parfois pour leurs fiançailles, leurs grossesses, ou juste pour se sentir belles.

Kateryna en est convaincue: se pomponner et se faire prendre en photo fait l'effet d'une "psychothérapie".

- "Tout" oublier -

Même avis pour Ievguénia Gotavtsova au coquet salon "Bigoudi", dans la ville voisine de Droujkivka.

Elle coupe et colore les cheveux de ses clientes, mais aussi leur permet de "décompresser".

"Elles viennent et elles oublient tout", assure Ievguénia Gotavtsova, fière d'afficher "complet un mois à l'avance".

La région vit au cœur des combats depuis le lancement en 2014 d'un conflit avec des séparatistes pilotés par Moscou. Mais "le salon prospère malgré tout" et reçoit aussi des militaires, constate la coiffeuse de 38 ans.

Si l'activité ne manque pas, Ievguénia doit composer avec un équipe divisée par deux. Plusieurs coiffeuses sont parties, effrayées par l'avancée de l'armée russe.

La logistique s'est aussi complexifiée. Les fournisseurs historiques ont quitté la région ou le pays et ont augmenté leurs prix, ce qui conduit le salon à faire de même.

Ievguénia Gotavtsova assure pourtant n'avoir pas à rougir des tarifs qu'elle pratique. 

Elle s'offusque de voir la concurrence faire payer plus de 6 euros pour une simple frange - "beaucoup trop", juge-t-elle avant de donner le juste prix: environ 1,50 euro.

Quant aux tendances de Droujkivka, Ievguénia Gotavtsova clame, en experte, que la coloration blonde reste "indémodable".