Il n'est pas homme à hausser le ton, mais son indignation est perceptible. Pascal Mologni, chef d'entreprise du secteur de la propreté, dans la métropole de Lyon, a quelques comptes à régler avec la commande publique. Si celle-ci représente un quart du marché total des prestations de propreté en France, elle lui rapporte près de 65 % des 3,7 millions d'euros de chiffre d'affaires de Propreté MJCM, sa société.

Mais face à l'inflation et aux revalorisations salariales de la grille, « certaines collectivités territoriales continuent d'acheter des services comme on le ferait avec des armoires, perdant de vue qu'il y a des humains derrière, explique le petit patron. Je reçois de leur part des clauses de revalorisation des prix de 1,02 %, sans parler de celles qui ont le culot de nous imposer des révisions de prix négatives », s'étrangle-t-il.

Faute d'avoir pu suffisamment augmenter ses tarifs, la PME, qui emploie 220 personnes, a vu son résultat d'exploitation se dégrader de 12 % en deux ans. « Nous avons serré les boulons partout où c'était possible, précise le dirigeant. Et nos clients du privé ont, eux, fait un effort : nous leur demandions un relèvement des prix de 6 % ; nous avons obtenu 4,2 %. » Dans ces circonstances, la FEP, la fédération des entreprises de la propreté, mise sur un indice de révision des prix, pour la première fois sectoriel. Tout juste mis en place, il sera publié chaque trimestre. Il pourra faire l'objet d'une clause spécifique dans les conditions générales de vente, pour actualiser ou réviser des contrats de propreté, notamment des PME, pas toujours à même de peser dans les négociations.

Le nouvel index est fondé sur les achats de matières premières, les frais de personnel et les charges, telles que les loyers commerciaux. « Nous voulions pouvoir présenter à nos clients un indice qui corresponde parfaitement à la construction d'un compte d'exploitation de nos entreprises », déroule le président de la FEP, Philippe Jouanny, par ailleurs dirigeant de la société de nettoyage Neova dans le Val-de-Marne. Pour en arriver là, la fédération a planché pendant deux ans avec le Fare Propreté - le fonds d'innovation du secteur - et le cabinet Xerfi. Deux années marquées par le Covid et le rapport sur la reconnaissance des « travailleurs de la deuxième ligne » commandé par Elisabeth Borne, alors ministre du Travail.

Avec ce nouvel indice, une partie de 16.000 entreprises de la propreté, parmi lesquelles 13.000 TPE et PME, espèrent rebattre les cartes du marché. Les enjeux sont sociétaux et financiers : le secteur revendique près de 600.000 employés, dont 41 % seulement à temps complet, et pèse 18 milliards d'euros, captés à plus de la moitié par les petites et moyennes structures.

Pour ces professionnels, l'équation est simple : comment rester profitable quand la part des salaires et charges pèse 80 % des coûts de revient et que huit entreprises sur dix font moins de 5 % de résultat ? Sans compter que les conditions de travail des salariés du secteur, régulièrement pointées du doigt, sont liées aux pratiques d'achat des clients.

Beaucoup de pédagogie

En définitive, les salaires du secteur auront progressé de 14 % en trois ans. Fin octobre, après cinq mois de négociations serrées, patrons et syndicats (CFDT et CFTC) ont signé un accord, sans opposition de FO et de la CGT. A la clé, pour 2024 : une hausse de 3,2 %, en deux temps, et une revalorisation de 20 % de la prime conventionnelle. C'est bien en deçà du rattrapage de 5 % réclamé par les syndicats, mais les petits patrons veulent déjà s'assurer qu'ils pourront répercuter dans leurs tarifs la prochaine augmentation. Et « il faut que la commande publique suive », anticipe Pascal Mologni, qui voit dans le nouvel indice, qui n'est toutefois pas contraignant, « une bouée de sauvetage ».

Fondatrice et dirigeante de la PME parisienne Saint-Honoré Cleaning (un peu plus de 4 millions d'euros de chiffre d'affaires avec 150 salariés), Marine Billiard montre, elle, un autre visage du métier. Cette cheffe d'entreprise spécialisée dans les services à l'hôtellerie de luxe a en effet réussi à répercuter les augmentations de salaires dans tous ses contrats, avec beaucoup de pédagogie. « Jusqu'en 2021, les augmentations annuelles étaient de l'ordre de 1 %. Alors, lorsqu'une première hausse de 6 % s'est annoncée, elle n'était pas contractualisée. Mais j'ai expliqué à mes clients que je ne pouvais pas réduire ma marge », retrace-t-elle, en évoquant « beaucoup de discussions et de nombreux cafés ». Elle a déjà averti ses clients de la hausse et tous ont donné leur accord. Pascal Mologni mise pour sa part sur les promesses d'achat public plus responsable faites en 2021 par Elisabeth Borne à la conférence de progrès de la profession. « Ce n'est pas encore arrivé en région », insiste-t-il, comptant maintenant sur des signaux forts de Matignon aux collectivités. « Heureusement, souffle le chef d'entreprise, nous n'avons pas pris de PGE. » Sa remarque n'est pas fortuite. « Cette année, appuie Philippe Jouanny, nous avons vu des TPE en région mettre un genou à terre parce qu'elles étaient dans l'incapacité de rembourser leur prêt. https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/le-remboursement-de-pge-reste-un-sujet-de-preoccupation-pour-les-tpe-1943699»