« Il faut que ça avance ! » s'impatiente Adrien Sfecci. Président d'Orsteel, une PME des Alpes-Maritimes spécialisée dans l'éclairage (4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires et 22 salariés), le petit patron grogne contre le climat politique. Il a partagé l'euphorie des Jeux Olympiques, mais la trêve est terminée. Partis en vacances, sans Premier ministre et avec des chiffres déprimants de défaillances d'entreprise, les dirigeants de PME sont revenus aux affaires avec des questionnements et des inquiétudes.
« L'activité baisse, la trésorerie fond et l'environnement est instable », s'agace François Asselin, le président de la CPME. Le responsable patronal vient de s'adresser au futur chef du gouvernement dans une lettre ouverte. « Votre responsabilité est lourde », y insiste-t-il, avant de dérouler les enjeux de cette rentrée particulière.
Une demande prudente
Sur le terrain, qu'ils soient à la tête d'une entreprise du second oeuvre, dans le bâtiment, de la propreté, des logiciels ou de la cosmétique, ils scrutent d'abord avec une certaine appréhension leurs carnets de commandes. Audrey Louail, présidente du réseau d'entrepreneurs CroissancePlus, est encore étonnée des résultats du sondage mené auprès des adhérents juste avant l'été. Un tiers d'entre eux, pourtant chefs d'entreprises considérées comme des championnes de la croissance, y évoquent une baisse de leurs commandes, une première depuis qu'elle est arrivée à la tête du réseau, il y a trois ans.Dans sa société d'infogérance informatique Ecritel (30 millions d'euros de chiffre d'affaires et 250 salariés), elle-même doit faire face à un fléchissement de l'activité depuis la dissolution de l'Assemblée nationale. « Les clients se contentent de la maintenance de leur infrastructure digitale », précise-t-elle, en pointant l'attentisme dû à l'instabilité politique. Sans compter une conjoncture maussade. « L'énorme moteur de l'économie que constitue le secteur de la construction, et qui irrigue traditionnellement les territoires, est encalminé depuis plusieurs mois, et la situation affecte de nombreuses activités », dit François Asselin.
Les petites entreprises de proximité et de l'artisanat ne sont pas non plus épargnées par le ralentissement. La baisse du chiffre d'affaires, amorcée depuis le début d'année, s'est encore accentuée avant l'été, selon l'enquête de Xerfi pour U2P, l'organisation patronale qui les représente. En moyenne, ces structures ont vu leur activité reculer de 1,4 % sur un an, contre une baisse de 1,1 % trois mois plus tôt.Dans un autre registre, Nailmatic, PME parisienne de la cosmétique ludique paye la réserve des consommateurs sur les achats non essentiels. « Nos clients historiques, les boutiques indépendantes, ont sérieusement réduit leurs commandes, quand elles n'ont pas fermé, témoigne Clémence Huignard, la fondatrice de cette société de 15 salariés, qui affiche un chiffre d'affaires de près de 3 millions d'euros. Ils préfèrent acheter ce qu'ils peuvent payer comptant, nous expliquent-ils. Nous n'avions jamais connu cela depuis la création de la marque, il y a douze ans. »
Des investissements ralentis
Adrien Sfecci, qui boucle la mise en oeuvre d'un gros plan d'investissement, lui aussi, a opté pour la prudence. Depuis trois mois, il le répète à ses équipes : les crédits en cours se terminent en 2026 et 2027 et, d'ici là, il freinera sur les investissements. « Jusqu'à une période récente, j'estimais qu'il fallait tout faire en interne, mais aujourd'hui, je suis prêt à me tourner vers des sous-traitants si de nouveaux marchés l'exigeaient, même si cela nous revient un peu plus cher, confie-t-il. Je m'achète du temps pour voir comment évolue le contexte. Je ne veux surtout pas alourdir ma dette. »
Même son de cloche chez les adhérents de l'U2P. « Personne ne veut se mettre de dettes sur le dos sans savoir ce qui va se passer », relaye Michel Picon, le président de l'organisation patronale. Changer un camion, refaire un point de vente ou en ouvrir un second, les projets attendront d'autant plus que le prêt garanti de l'Etat (PGE) reste difficile à rembourser pour un certain nombre de petites entreprises. « Trois cent cinquante mille très petites entreprises (de moins de 10 salariés) vont continuer de rembourser leur PGE jusqu'en 2026 », précise Jean-Guilhem Darré, délégué général du Syndicat des indépendants (SDI), qui comme la CPME est remonté au créneau pour obtenir un nouvel étalement des échéances. Objectif : donner un peu d'air aux trésoreries, « le talon d'Achille de nos entreprises », répète Jean-Guilhem Darré.
Des délais de paiement allongés
Les chefs d'entreprise interrogés par « Les Echos » sont unanimes. Ils évoquent tous « une dégradation importante » des délais de règlement. Chez Ecritel, l'indicateur qui les mesure a quasiment doublé. « C'est un phénomène récent, souligne Audrey Louail, et nous sommes obligés d'être très stricts pour éviter des dérapages, même lorsqu'il s'agit de clients qui avaient l'habitude de payer rubis sur l'ongle. »
Au vu de la situation, certains chefs d'entreprise réfléchissent à faire payer des acomptes sur des contrats non récurrents. Adrien Sfecci est déjà passé à l'action : à la faveur de la diversification d'Orsteel, il a décidé de faire payer d'avance tous les nouveaux clients. « Grâce à eux, je rentre de la trésorerie avant de produire », se félicite-t-il. Comme Audrey Louail, il s'était surpris à devoir rappeler à l'ordre des clients historiques et bons payeurs.Salaires vs marges
L'autre défi de rentrée des PME, et en particulier dans les services, est de retrouver un peu de marge. « Les problématiques de rentabilité nous préoccupent pour les mois à venir », confie le patron d'une petite entreprise de la propreté, qui est dans le rouge depuis l'année dernière, tout en poursuivant sa croissance. « Nous n'arrivons plus à vendre au bon prix pour gagner de l'argent », se désole-t-il, en ciblant le coût du travail.Face à une clientèle qui « cherche du prix », il s'est fait peur tout l'été avec la revalorisation du SMIC figurant dans les programmes du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national. Comment assumer une augmentation des salaires ? « Dans les secteurs où vous vendez principalement du taux horaire, c'est un sujet de vie ou de mort pour l'entreprise », insiste François Asselin.Et cela reste « un gros sujet » dans la petite industrie d'Adrien Sfecci. « Avec les élections, nous avons beaucoup parlé politique dans l'entreprise. Tous les salariés se sont retrouvés sur la question du salaire, même si chez nous le salaire minimum est supérieur au SMIC et que personne n'est au premier échelon de la grille » , raconte le dirigeant. Lui a fait le choix de mensualiser les primes et réfléchit à un système de partage de la valeur, mais la tension reste perceptible dans l'entreprise, dit-il.L'aide à l'apprentissage observée
Depuis qu'a été supprimée, en mai dernier, la prime de 6.000 euros pour l'embauche d'un alternant en contrat de professionnalisation, les chefs d'entreprise s'inquiètent de la continuité des aides à l'apprentissage. Et aujourd'hui, les organisations patronales promettent d'être très attentives à la réponse du prochain gouvernement. « Supprimer la prise en charge des contrats d'alternance, et notamment des jeunes qualifiés, serait dommageable pour les PME et les ETI », fait valoir la présidente de CroissancePlus, en insistant sur le bénéfice du dispositif pour des entreprises industrielles en quête de professionnels sur des métiers spécialisés. « Des entreprises qui avaient envisagé de prendre un apprenti ne vont pas aller jusqu'au bout du parcours, parce qu'elles ne savent pas encore si les budgets en 2025 vont permettre de le faire », prévient Michel Picon, le président de l'U2P.