« Le prêt garanti par l'Etat m'a permis de m'en sortir pendant le Covid, mais je n'arrivais plus à le rembourser. Les délais sont trop courts », déplore José Fernandes, dont les cinq restaurants, qui comptent 75 employés, ont été placés en redressement judiciaire en novembre 2022 par le tribunal de commerce de Pontoise (Val-d'Oise). Ce restaurateur francilien, franchisé Del Arte, n'a pas réussi bien longtemps à conserver son PGE de 1,2 million, qu'il a rapidement consommé face à une activité de 20 % de moins qu'avant la crise. Depuis avril dernier, son plan de continuité sur neuf ans lui permet d'étaler ses dettes, baissant ses mensualités à 50.000 euros, dont la moitié de PGE. Mais au prix de deux établissements fermés.

Au bord de la faillite, Cotelac aussi a dû se mettre l'an dernier sous la protection du tribunal de Bourg-en-Bresse, dans l'Ain. Placée en procédure de sauvegarde, l'enseigne de prêt-à-porter vient de valider, début janvier, un plan qui rééchelonne les dettes sur dix ans. La combinaison des 8,3 millions de PGE à rembourser et d'une activité au ralenti a fait vaciller la trésorerie.L'entreprise est passée de 38 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019 à 23,3 millions en 2024 (avec plus de 200 salariés). « Compte tenu de ma situation et de ma dette bancaire, le PGE était trop lourd », pointe Pierre Pernod, son président, qui se fait désormais épauler par un manager de transition et a dû - et ce n'est qu'un début - fermer 28 boutiques sur 100.

Un chemin de croix

Toutes les entreprises bénéficiaires du PGE ne sont pas dans ces situations extrêmes. Mais, cinq ans après avoir sauvé les entreprises pendant le Covid, ce prêt bancaire garanti à 90 % par l'Etat, et pouvant aller jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires, est devenu un fardeau pour un grand nombre de petites et moyennes structures. A ce jour, 20 % des PME l'ont totalement remboursé. Les autres sont en train de le faire, ce qui est parfois un vrai chemin de croix.

Les TPE-PME se sont massivement ruées sur le dispositif, comme en témoignent les toutes dernières données de Bpifrance, qui a piloté le dispositif pendant la crise. Sur les 804.000 PGE octroyés (hors grandes entreprises), 788.700 l'ont été à des TPE-PME (soit 98 %) et 15.300 à des ETI (1,9 %). En termes de montant, les 129 milliards d'euros ont été distribués à 69 % aux TPE-PME (89 milliards) et 31 % aux ETI (40 milliards). Sur ce total, d'après la banque publique, 37 milliards d'euros restent à rembourser (29 %), les TPE-PME représentant 72 % de ce solde. Elles sont pour la plupart à mi-chemin de leur remboursement, sept PGE sur dix ayant été distribués entre mars et juillet 2020 (le reste jusqu'en 2022 avec les PGE pour faire face au conflit en Ukraine, dits « résilience »).

La plupart ont l'oeil rivé sur 2026, date à laquelle prendront fin les mensualités. La grande majorité a en effet opté pour un remboursement sur quatre ans. Le PGE était conçu au départ pour un amortissement sur six ans, mais les pouvoirs publics ont progressivement accordé deux ans possibles de différé pour soulager les entreprises. Un bien pour un mal. Ils doivent par conséquent s'acquitter d'échéances plus élevées sur un temps plus concentré. Pas simple, d'autant plus qu'à cette dette, qui représente en moyenne 17 % du chiffre d'affaires selon la Cour des comptes, s'ajoute la reprise des recouvrements des cotisations sociales parl'Urssaf.

Malgré un taux d'intérêt bas, de moins de 1 %, la dette passe mal. « Les emprunts bancaires ont une durée d'amortissement sur sept ans en général. Rembourser en quatre ans, ça les étrangle », relate Agnès Bricard, expert-comptable et ex-présidente de l'Ordre des experts-comptables. A l'époque, le patronat avait fait pression sur Bruno Le Maire, alors ministre de l'Economie, pour rallonger la durée d'amortissement, mais la Commission européenne n'y était pas favorable.

« Dette morte »

La dégradation de la conjoncture économique est venue s'ajouter à la pression sur ce remboursement. « En 2022, le remboursement passait sans trop de problèmes. C'est parce que le contexte s'est détérioré avec un ralentissement de l'activité et l'instabilité politique que les PGE ne facilitent pas les choses, analyse Cédric Collaert, qui gère les restructurations au sein du cabinet Eight Advisory. Mais on ne peut pas dire 'c'est la faute des PGE'. Je ne suis pas de ceux qui incriminent le dispositif », prévient-il, faisant référence à la petite musique qui monte sur la responsabilité du PGE dans quelques-unes des 65.000 défaillances actuelles.

Agnès Bricard, elle, le voit dans les bilans 2024 de ses clients, qu'elle vient de clôturer. « Je suis relativement inquiète pour 2025, surtout pour les plus petites entreprises. Le PGE risque de précipiter les dépôts de bilan ». Car si « la situation des entreprises n'est pas trop mauvaise en trésorerie, en termes de bénéfice, c'est une autre histoire pour les mois qui viennent ». « Les dirigeants doivent rembourser une dette morte alors que l'activité se dégrade. Il y a un effet ciseau qui nous préoccupe, alors que les défaillances touchent de plus en plus de belles PME », renchérit Germain Simoneau, à la tête de la commission Financement de la CPME.

Bpifrance temporise, arguant de craintes de non-remboursement « qui demeurent limitées à 4 % des montants ». « Il y a certes des difficultés financières pour certains secteurs, mais ce n'est pas un sujet majeur. On ne craint pas un mur de la dette », assure Baptiste Thornary, économiste au sein de la banque publique, qui, s'appuyant sur le dernier baromètre semestriel des TPE-PME publié en janvier, souligne que « la trésorerie s'érode mais reste à une situation proche de son niveau d'avant-crise ». « Certaines ont du mal à rembourser, mais c'est surtout parce que l'environnement économique se dégrade que leur effort va être plus compliqué », estime pour sa part Julien Laugier, économiste au sein du groupe BPCE. D'après une étude du Conseil d'analyse économique d'octobre 2024 reprise par le groupe bancaire, seules 7,5 % des entreprises ayant contracté un PGE sont « à risque ». Mais « ce chiffre pourrait toutefois doubler si les capacités d'autofinancement des entreprises rapportées à leur chiffre d'affaires étaient inférieures à 3 %, ce qui est le cas du quart des TPE-PME », souligne ainsi l'organisme placé auprès de Matignon.

Rééchelonnement

Pour celles qui peinent à payer leurs échéances, le dispositif de rééchelonnement imaginé en 2022 par les pouvoirs publics a été prolongé jusqu'à la fin 2026. Géré par la médiation du crédit de la Banque de France - les PGE de plus de 50.000 euros doivent d'abord avoir le feu vert du comité des entreprises en difficulté, existant dans chaque département -, il permet d'obtenir jusqu'à quatre ans de délai supplémentaire. En cas de cumul avec d'autres dettes non bancaires, le dossier peut également passer en procédures de prévention au tribunal de commerce, ce qui permet de restructurer le PGE jusqu'à dix ans supplémentaires.

Des dossiers de ce type, Eric Feldmann, le président du tribunal de commerce de Lille (qui vient de passer la main au terme de son mandat), en voit de plus en plus. L'augmentation des procédures de prévention sur ce territoire (mandat ad hoc et conciliation) ouvertes en 2024 - 214, contre 118 en 2023 - s'explique surtout par « ces entreprises venues renégocier le PGE ». « Mais l'opération n'est pas gagnée d'avance, prévient-il. Les banques ne l'accordent pas forcément et quand c'est le cas, ce n'est pas indolore ; le taux d'intérêt n'est plus autour de 1 % mais peut monter à 7 ou 8 %. »

Par ailleurs, les entreprises prennent le risque de voir leur note dégradée par la Banque de France et, par ricochet, par les banques et les assureurs crédit, même si l'institution assure que les cas sont rares. « Renégocier le PGE veut dire rentrer en défaut de paiement. Donc c'est non ! On cherche à retrouver des marges certes, mais pas au prix de notre réputation », tranche Carl de Poncins, dirigeant de Panthea, une entreprise spécialisée dans le surtitrage des salles de spectacle. Depuis 2022, 10.000 demandes de restructuration de PGE ont ainsi été traitées par les tribunaux de commerce et près de 1.500 par la Médiation du crédit.