« Si nous restons les bras croisés, nous sommes morts. » Le ton se voulait résolument alarmiste au ministère des Finances quelques jours avant la réunion, ce lundi à Meudon, du ministre de l'Economie allemand Robert Habeck, du ministre des Entreprises italien Adolfo Urso et du ministre des Finances français Bruno Le Maire. Cette troisième rencontre trilatérale consacrée à la politique industrielle européenne entend définir une stratégie économique commune face à la concurrence croissante de la Chine et des Etats-Unis.

Il faut « montrer les dents » pour protéger les intérêts économiques de l'Europe, a martelé jeudi dernier Bruno Le Maire, lors d'un point presse, estimant que « le temps de la mondialisation heureuse est fini ». Elle a fait place à « une mondialisation de rivalités ». A Meudon seront évoquées les mesures à mettre en oeuvre pour stimuler la productivité européenne grâce aux technologies vertes et numériques (intelligence artificielle, gestion des données, automatisation des processus, etc.).

Influencer la future Commission européenne

Les ministres feront aussi un point d'étape de leur plateforme commune de partage d'informations sur leurs matières premières critiques (liste des matériaux, stocks stratégiques nationaux). Ils entendent définir une position commune qu'ils défendront devant la future Commission européenne, formée après les élections européennes du mois de juin. Ces positions communes portent sur la simplification, la concurrence équitable internationale et le renforcement de l'indépendance énergétique de l'Europe.Bruno Le Maire mettra sur la table une proposition - la directive Omnibus - visant à simplifier les règles comptables et financières des PME et ETI, à l'instar de ce qu'a fait la France. Paris défend le relèvement de 250 à 500 du seuil de salariés des entreprises concernées par certaines obligations comptables, financières ou sociales imposées aux PME par l'Union européenne, explique-t-on à Bercy.Deux directives récentes - la CSRD (reporting extra-financier) et la CS3D (devoir de vigilance) - imposées aux PME de plus de 250 salariés sont jugées très lourdes.La France défend également un rééquilibrage des règles environnementales malgré les réticences allemandes sur ce sujet. « Nous ne pouvons pas prendre le risque pour l'Europe d'être l'économie la plus décarbonée et la moins industrialisée au monde », explique-t-on à Bercy. En clair, il est suicidaire d'imposer des règles environnementales strictes au niveau européen et de laisser entrer sur le marché intérieur des produits étrangers qui ne respecteraient pas les mêmes contraintes de production.

Rééquilibrer les échanges

Quitte à se dédouaner des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) que l'Union européenne s'acharne à suivre alors que « personne ne les respecte ». « Les règles de l'OMC n'incorporent pas suffisamment ces aspects environnementaux », regrette-t-on à Bercy.

Paris plaide notamment pour l'instauration de règles d'origine dans le cadre des appels d'offres publics au niveau européen. « Les Etats-Unis et la Chine privilégient leurs entreprises dans ces appels d'offres, pas l'Union européenne. Il est temps de réagir », martèle-t-on à Bercy. Pour Bruno Le Maire, l'Europe a besoin d'un « rééquilibrage des instruments » pour mieux défendre ses intérêts économiques et éviter de se retrouver coincée entre le protectionnisme américain et l'interventionnisme chinois. Une réaction d'urgence est indispensable, car la Chine a produit une masse de semi-conducteurs, de véhicules électriques et d'équipements solaires et éoliens qu'elle cherche à vendre dans l'Union européenne.

Côté IA, Paris plaide pour une politique communautaire, à l'image de ce qui avait été fait pour le charbon dans les années 1950. « Il faut être capable d'innover, d'investir, de maîtriser les nouvelles technologies, mais aussi montrer les dents face à des adversaires économiques [notamment la Chine et les Etats-Unis, NDLR] qui ne nous feront au XXIe siècle absolument aucun cadeau », a averti Bruno Le Maire.