Le mantra de la simplification est de retour. Trop de lois, règlements et circulaires. Trop de directives européennes « surtransposées ». Mais est-ce la complexité qui est la cause de nos malheurs ? Ou notre incapacité à la gérer ? Nous cherchons à retrouver l'évidence et la clarté des codes napoléoniens, quand il faudrait repenser la méthode de préparation des normes, et l'adapter à notre temps.

Tentons ici de convaincre qu'une méthode collaborative inventée au début de ce siècle, et désormais utilisée quotidiennement par les développeurs du monde entier, pourrait être utile pour repenser le processus de préparation des normes et apurer le stock. Il s'agit des plateformes de développement collectif de logiciels telles que GitHub, Bitbucket, GitLab, etc., que les développeurs utilisent pour coder et améliorer collectivement des logiciels. Le fonctionnement est simple : un développeur dépose un projet de code sur la plateforme ; chaque membre autorisé peut faire des commentaires et/ou proposer des améliorations ; celles qui sont approuvées sont intégrées au code.

Le parallèle entre la rédaction du code d'un logiciel et celle d'un code juridique n'est pas neuf. Dans les deux cas, il faut choisir entre plusieurs manières de rédiger : il n'y a pas une seule manière de coder une fonction dans un langage informatique, de même qu'il n'y a pas une seule manière de rédiger une règle de droit. Dans les deux cas, la qualité du code est meilleure si elle résulte d'un travail collectif.

Plateforme collaborative

Comment transposer cette méthode venue du monde des logiciels à la rédaction des textes réglementaires ? En créant une plateforme collaborative où les services qui préparent un texte déposeraient le projet, pour recueillir commentaires et propositions. Comme sur les plateformes de développeurs, chaque contribution, qu'elle soit un simple commentaire, le signalement d'une incohérence, ou une véritable contre-proposition, serait placée au regard de la disposition initiale. Le nombre de contributeurs serait bien sûr sans commune mesure avec les plateformes de développeurs (combien de volontaires pour simplifier la réglementation sur la taille des haies ?), mais, comme sur ces plateformes, les autorisations pourraient varier selon les sujets, les textes et les contributeurs : lecture et contribution ouverte à tous, ou bien lecture ouverte à tous mais contribution réservée à certaines organisations, etc.

L'administration resterait libre du moment où elle déposerait son projet de texte. Quand le sujet est sensible, elle temporisera probablement, même si la plateforme peut devenir un outil pour structurer un débat compliqué. La méthode pourra être utilisée pour « nettoyer » un stock de normes. Si le projet de texte est une proposition de loi, le Parlement pourra gérer les travaux sur la plateforme en parallèle de la procédure législative.

Arborescence organisée

Quelle différence avec les débats publics ou plateformes participatives existantes ? Ce n'est pas une boîte aux lettres qui devient une boîte noire au moment de la décision, ni une suite de lettres de doléances dont la seule différence avec celles de 1789 est leur format numérique. C'est une confrontation structurée des points de vue sur des dispositions précises, une arborescence organisée qui confronte projet, commentaires et contre-propositions. Entreprises, ONG et organisations professionnelles y feront valoir leur position de manière argumentée et transparente.Il y aura certainement des loupés au démarrage, des poussées d'hystérie sur de malheureux articles. Mais chacun apprendra rapidement à tirer le meilleur parti de ce travail collectif, de la même manière que les équipes de développeurs se sont saisies de ces plateformes pour améliorer la qualité de leur code. En résumé : pour simplifier, changeons de siècle, changeons de logiciel. Camille Putois est directrice générale de Business for Inclusive Growth (B4IG) et ex-directrice adjointe du cabinet du Premier ministre Jean-Marc Ayrault.