La protection de l'enfance "qui hier était à bout de souffle" est "aujourd’hui dans le gouffre", alerte dans son rapport final publié mardi la commission d'enquête de l'Assemblée nationale lancée au printemps 2024, quelques mois après le suicide de Lily, une adolescente de 15 ans placée dans un hôtel.
"Il ne s'agit plus seulement de constater mais d’agir vite", ajoute-t-elle.
Selon le dernier bilan officiel, 396.900 jeunes sont suivis par la protection de l'enfance en France, compétence des départements depuis les années 80.
Mais sur le terrain, la dynamique s'enraye : les mesures de protection sont en hausse de 44% depuis 1998 quand le nombre de personnels sur le terrain est lui en "baisse constante" sur la dernière décennie.
Résultat, souligne la commission parlementaire, les enfants sont accueillis en "sureffectif", des mesures de placement ne sont pas exécutées faute de place suffisante et les professionnels sont "en perte de sens".
Pour "sortir de la crise", la commission préconise d'"adopter une loi de programmation" et de mettre en place un "nouveau fonds de financement" de la protection de l’enfance.
Face à des demandes de placement en déshérence, la commission recommande également d'"augmenter le nombre de juges et de greffiers" pour permettre un suivi efficace.
Elle appelle par ailleurs à créer "une commission de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitance dans les institutions" et à renforcer le nombre de contrôle, "à raison d'au moins une inspection tous les deux ans" pour les établissements et les assistants familiaux.
Écartant l'option d'"une recentralisation", elle recommande plutôt de mettre sur pied sans délai "un comité de pilotage" réunissant État, départements et associations à même de relancer une stratégie interministérielle.
- "Scandale d’État" -
"Les rapports ne peuvent plus se permettre de prendre la poussière, on est face à une urgence absolue", a déclaré à l'AFP la rapporteure de la commission, la députée socialiste Isabelle Santiago.
"On est sur un enjeu de santé publique, on impacte le devenir de centaines de milliers d'enfants", a-t-elle ajouté, évoquant les conséquences "dramatiques" de la situation sur la santé physique et mentale des jeunes ainsi que sur leurs parcours scolaire. "C'est un scandale d’État, il faut passer à l'action maintenant."
S'exprimant avant la publication du rapport, la ministre des Familles, Catherine Vautrin, a présenté dimanche des pistes d'amélioration afin notamment de mieux prévenir le placement des enfants, aider les assistants familiaux ou mieux suivre la santé des jeunes placés. Mais sans s'avancer sur les moyens financiers, admettant une situation budgétaire "difficile".
Ce sont "des premiers pas" mais "on ne dit pas comment, où et avec quel budget", a déploré Isabelle Santiago mardi lors d'une conférence de presse.
Les mesures préconisées "ne seront utiles que si elles deviennent effectives, financées et suivies", a réagi de son côté le militant défenseur des enfants, lui-même ancien enfant placé, Lyes Louffok, dans un communiqué.
"Ce rapport est le 13e publié sur la crise de la protection de l’enfance depuis 2022", rappelle pour sa part Didier Tronche, président de la Cnape, la principale fédération d'associations de protection de l’enfance, qui espère que les conclusions de la commission d'enquête produiront cette fois-ci un "électrochoc".
Tout en reconnaissant les défaillances du système actuel, gouvernement et départements se renvoient régulièrement la balle, les seconds estimant ne plus être en mesure de remplir leur mission compte tenu des coupes budgétaires et du nombre croissant de mineurs étrangers non accompagnés.
Réagissant au rapport, les départements se sont dits "prêts à faire mieux, à condition que l’effort soit collectif, et que l’État s’implique et assure des financements à la hauteur de ces enjeux de société."
Dans la matinée, une dizaine d'anciens enfants placés s'étaient réunis près de l'Assemblée nationale pour appeler l’État à mettre un terme "aux violences institutionnelles".
Un autre rassemblement est prévu le 15 mai à l'appel du "collectif des 400.000" qui réunit une soixantaine d'associations et de fédérations du secteur, pour dénoncer les "promesses non tenues".