Dans la mondialisation, l'Europe est-elle naïve, sans défense, ouverte à tous les vents face à des Etats qui se protègent mieux ? Est-ce la faute d'une Commission « ultralibérale », aveuglée par sa foi dans la libre-concurrence, comme le laissent entendre aussi bien Jean-Luc Mélenchon que Nicolas Dupont-Aignan ou Laurent Wauquiez ? A la vérité, les chiffres tordent le cou à cette assertion, comme souvent dans les grands thèmes de cette campagne, que « Les Echos » vont décliner cette semaine (lire ci-contre). L'Europe affiche un excédent avec le reste du monde. Les rudes réformes menées par l'Espagne, le Portugal, la Grèce et d'autres Etats membres pour regagner de la compétitivité se soldent même par un net bond en avant. Tombée à l'équilibre (0 %) en 2008, la balance des paiements courants de la zone euro a affiché un excédent de 2,6 % du PIB l'an dernier et devrait grimper à 3 % cette année et en 2015.A cet égard, le déficit français (- 1,9 %) est atypique par rapport à l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne. Outre l'Allemagne, dont l'excédent commercial frôle 200 milliards d'euros, d'autres pays sont de véritables « cash machines » à l'export, comme les Pays-Bas. Cet excédent commercial et des services explique d'ailleurs en partie la force de l'euro. Ainsi que le décalage de perception entre la France et ses voisins sur la mondialisation. « En France, plusieurs forces politiques s'opposent au libre-échange, ce qui n'est pas le cas ailleurs », constate un diplomate. Longtemps, la frontière entre les Etats de sensibilité plus libérale et les plus protectionnistes passait par la France, avec, au sud, les frileux et, au nord, les amateurs de grand large. Pas question de parler protectionnisme à un socialiste danois par exemple.Depuis la crise de l'euro, cette frontière Nord-Sud s'est estompée. A côté des libéraux traditionnels - Britanniques ou Néerlandais -, l'Italie, l'Espagne et le Portugal sont aujourd'hui parmi les plus fervents partisans du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), le traité de libre-échange en négociation avec les Etats-Unis. Faute de pouvoir compter sur la dépense budgétaire pour relancer leurs économies, ils misent de plus en plus sur l'export et sont donc convertis aux accords préférentiels.

Négociations bilatérales

Depuis cinq ans, face aux impasses des négociations multilatérales, la Commission européenne a engagé des négociations bilatérales avec quasiment tous les pays du globe, Russie exceptée. Elle a enregistré son premier succès en 2011 avec la signature du traité de libre-échange avec la Corée du Sud. En dépit des craintes françaises pour son automobile, la Commission tire un bilan positif de cet accord, y compris pour l'Hexagone, dont la balance commerciale avec la Corée est revenue à l'équilibre.Le prochain accord devrait être avec le Canada. Mais la grande affaire pour la future Commission, c'est évidemment la relance du couple transtlantique via le TTIP. Or ce projet bouleverse une nouvelle fois les sensibilités au sein de l'Union. La France s'est battue pour en exclure l'audiovisuel au nom de la défense de l'exception culturelle, en partie contre l'Allemagne. C'est pourtant outre-Rhin que la société civile est cette fois la plus inquiète et la plus mobilisée. Quelque 30.000 paysans bio ont défilé dernièrement à Berlin. Ce week-end, la chancelière Angela Merkel a tenté de rassurer en promettant qu'avec le TTIP « il ne s'agit pas, comme on le dit souvent, d'abaisser les normes, au contraire ». Fleur Pellerin, la nouvelle secrétaire d'Etat française au Commerce extérieur, demande aussi de « dédramatiser » en rappelant qu'il s'agit d'une « négociation d'égal à égal » et donc que non, les « Américains ne vont pas nous bouffer ».