Cette danseuse de 46 ans qui vit à Lisbonne est l'invitée d'honneur ("complice") de ce rendez-vous international de théâtre et de danse qui célèbre, cette année, la langue et la culture arabes.
Sa création, "Nôt", pour huit danseurs et musiciens, sera dansée dans la Cour d'honneur du Palais des papes, à la nuit tombée, jusqu'au 11 juillet.
Dans le chef d’œuvre de la littérature arabe, Shéhérazade se porte volontaire pour raconter chaque nuit une histoire au sultan, qu'elle prend soin d'interrompre au matin pour ne pas se faire exécuter.
"J'ai voulu m'appuyer sur l'idée de suspension, de reprise, d'interruption qui a lieu à chaque lever du soleil" ainsi que sur la notion "d'emboîtement" de petits contes dans un plus grand conte, confie à l'AFP Marlene Monteiro Freitas.
"Nôt" ("nuit" en créole capverdien) joue également sur le brouillage des repères et les variations d'échelles: "des choses, pendant la nuit, nous semblent très grandes, monstrueuses, ou au contraire très petites, insignifiantes. C'est aussi pendant la nuit que les plans, les rêves, semblent réalisables", ajoute-t-elle.
La chorégraphe, qui a grandi au Cap-Vert jusqu'à l'âge de 18 ans, dit avoir gardé de ce pays le goût du "carnavalesque", qu'elle décrit comme une "attitude", qui permet d'être "dans un mouvement". "C'est là où les contradictoires peuvent se rejoindre, le laid et le beau par exemple".
Cela se traduit, dans ses pièces, par un travail important sur le visage: figures grimées de couleurs vives ou de blanc qui s'emploient à des mimiques et grimaces.
- "œuvre d'art" -
La musique et le rythme sont essentiels dans l'univers de cette petite-fille de compositeur. "Elle propose de se mettre dans la peau de quelque chose par le corps et par le rythme pour faire naître une figure vivante", témoigne Marie Albert, l'une des danseuses de "Nôt", aujourd'hui freelance, ancienne danseuse de l'Opéra de Lyon.
"Elle travaille avec l'instinct du moment" et "ouvre un espace de liberté, de créativité que j'ai rarement vu", ajoute-t-elle.
Ses créations hybrides et protéiformes sont à son image: Marlene "est une œuvre d'art en elle-même, nourrie de multiples références", décrit Paul Grégoire, danseur de l'Opéra de Lyon.
L'artiste aux cheveux bouclés et au sourire franc a débuté en imaginant des spectacles avec ses amis au Cap Vert: "on créait tout, de la musique aux costumes", se souvient-elle. Elle part ensuite étudier en Europe, entre l’École supérieure de danse et à la Fundaçao Calouste Gulbenkian à Lisbonne et la P.A.R.T.S. à Bruxelles, l’école initiée par la figure de la danse contemporaine Anne Teresa De Keersmaeker.
Elle devient habituée de la France, où, elle travaille en tant qu'interprète, avec les danseurs contemporains Boris Charmatz, Loïc Touzé, Emmanuelle Huynh.
Chorégraphe depuis 2010, elle crée aussi bien des solos ("Guintche", 2010) que des pièces pour plusieurs interprètes, comme "Canine jaunâtre 3", imaginée en 2018 pour les danseurs de la compagnie israélienne Batsheva, reprise en 2024 avec les danseurs de l'Opéra de Lyon.
Invitée de nombreux festivals européens, complice du Centre Pompidou à Paris, elle est récompensée du Lion d'argent à la Biennale de Venise en 2018.
Le directeur du Festival Tiago Rodrigues loue sa capacité à inventer "des images et des poèmes visuels sur scène".
"Elle a su s’inventer un style, reconnaissable de pièce en pièce, une patte grimaçante et musicale", qui fait d'elle "une artiste absolument unique et sans limite", témoigne Boris Charmatz, à la tête du Tanztheater Pina Bausch à Wuppertal (Allemagne), artiste "complice" d'Avignon 2024.