Michaël Randrianirina, 51 ans, chef d'une unité de l'armée, le Capsat, qui s'est mutinée et jointe aux manifestants antigouvernementaux le week-end dernier, avait annoncé la prise de pouvoir par les militaires mardi après la destitution d'Andry Rajoelina par l'Assemblée nationale.

"Le jour d'aujourd'hui marque un tournant historique pour notre pays", a-t-il déclaré après sa prestation de serment à la Haute cour constitutionnelle à Antananarivo, la capitale devant une multitude d'écharpes d'élus et de képis ainsi qu'à l'étage des représentants de la Gen Z et des influenceurs s'étant joints à la lutte.

"Nous allons travailler main dans la main avec toutes les forces vives de la nation afin d'élaborer une belle Constitution de la République et se concerter sur de nouveaux textes électoraux sur l'organisation des élections et référendums", a-t-il assuré. "Notre mission principale est de réformer en profondeur les systèmes administratifs, socio-économiques et politiques de gouvernance du pays".

Il a remercié les jeunes du mouvement Gen Z d'avoir été à la pointe des manifestations et affirmé que l'armée était intervenue à la demande de la Haute cour pour "éviter l'anarchie et le désordre". Sur le perron face aux médias, il a assuré que les jeunes seraient "consultés avant la nomination du nouveau premier ministre".

Plusieurs délégations étrangères ont assisté à la cérémonie, dont celles des États-Unis, de l'Union européenne, de la Russie et de la France, l'ex-puissance coloniale, dont l'ambassadeur s'est borné à de multiples "pas de commentaire".

"Le dialogue est en cours avec la communauté internationale et leur présence nombreuse ici témoigne qu'ils respectent la souveraineté nationale", a-t-il estimé

Quelques dizaines de personnes s'étaient rassemblées vendredi matin devant la Haute cour constitutionnelle, espérant apercevoir le nouveau président.

"On est heureux de pouvoir espérer du changement. On espère mais on verra", s'est réjouie Fan iry Randrianaridoa, une commerçante. "Ce n'est pas un caprice de vouloir de l'eau et de l'électricité", tranche-t-elle en référence à la revendication initiale des manifestations commencées le 25 septembre.

Sous le feu de critiques à l'international, dont celles de l'ONU, le nouvel homme fort de Madagascar, qui réfute tout coup d'État, s'évertue à entourer sa prise de pouvoir de légalité.

Il a promis des élections d'ici 18 à 24 mois, même si la plus haute juridiction du pays lui a donné un délai de 60 jours, et il a assuré jeudi que le pays ne serait pas dirigé par un régime militaire car "le gouvernement appartient aux civils".

Pour la cérémonie de vendredi, il avait troqué son uniforme pour un costume et s'est adressé aux délégations étrangères en français, les invitant à "accompagner Madagascar dans le processus de pilotage et de mise en œuvre de la refondation nationale". Selon la presse locale, il a rencontré jeudi une délégation russe.

L'Union européenne a appelé vendredi à un dialogue entre "toutes les parties" afin de renouer "avec les valeurs démocratiques".

L'Union africaine et la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ont prévu d'envoyer des missions d'enquête sur l'île et appelé au respect de la démocratie constitutionnelle.

- L'ex-président en fuite -

Les partisans d'Andry Rajoelina ont condamné le soutien de la Haute cour constitutionnelle au commandant du CAPSAT, le jugeant entaché d'illégalités procédurales.

Faute de recours possible légalement, une requête a tout de même été déposée auprès de la HCC, a indiqué à l'AFP sa conseillère Lova Rinel Rajaoarinelina. "C'est une requête pour avoir des explications sur chaque point, prouver que ce sont des institutions vérolées et donner des arguments juridiques aux médiateurs pour démontrer l'incohérence", explique-t-elle.

Les forces gouvernementales ont été accusées de répression violente contre les manifestants, avec au moins 22 morts et une centaines de blessé selon l'ONU, jusqu'à ce que le CAPSAT annonce le 11 octobre qu'il refuserait de tirer sur eux.

Cette mutinerie a marqué un tournant, l'unité ayant été célébrée par les protestataires qui espèrent désormais un rôle dans la nouvelle administration.

Madagascar est la dernière de plusieurs anciennes colonies françaises passées sous contrôle militaire depuis 2020, après des coups d'État au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Gabon et en Guinée.

A Madagascar, il s'agit de la troisième transition militaire depuis son indépendance de la France en 1960, après les coups d'État de 1972 et 2009.

Le pays, situé au large du Mozambique, est un des plus pauvres au monde malgré une abondance de ressources naturelles et sa riche biodiversité attirant le tourisme.

Au moins 80% de ses 32 millions d'habitants vivent avec moins de 2,80 euros par jour, le seuil de pauvreté fixé par la Banque mondiale.

Andry Rajoelina est le troisième dirigeant malgache renversé à fuir le pays. Avant lui, Didier Ratsiraka était parti pour la France en 2002 après des violences post-électorales et Marc Ravalomanana s'était envolé pour l'Afrique du Sud en 2009.